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Féru de littérature française et étrangère, ma plume sévit dans diverses colonnes de journaux, de sites internet pour partager ce goût qui m´anime. Que détracteurs ou admirateurs n´hésitent pas à réagir à mes chroniques.

mardi 29 juin 2021

Chronique de juillet 2021.

 


La lampe d´Aladin de Marcel Schwob.

Les admirateurs des proses et de l´érudition du grand génie argentin du XXème siècle qui répondait au nom de Jorge Luis Borges ignorent sûrement, pour la plupart, qu´un de ses maîtres et inspirateurs n´était autre que Marcel Schwob, un écrivain français secret et original que l´histoire de la littérature française tient, en quelque sorte, pour un auteur de moindre importance. Certes, sa mort prématurée à l´âge de trente-sept ans y a été pour beaucoup, mais cette raison n´explique pas tout. Heureusement, ces derniers temps on assiste à un regain d´intérêt pour l´œuvre de cet auteur érudit, au savoir encyclopédique, qui fut le découvreur de Stevenson en France, le redécouvreur de François Villon et le traducteur de Shakespeare et de Daniel Defoe. Ses œuvres complètes (Œuvres) sont disponibles en un seul volume dans la collection Libretto aux éditions Phébus depuis octobre 2002, mais on peut trouver quelques titres dispersés chez d´autres éditeurs. En outre, on doit à Sylvain Goudemare une excellente biographie de Marcel Schwob intitulée Marcel Schwob ou les vies imaginaires publiée en 2000 aux éditions Le Cherche-Midi. Sylvain Goudemare est d´ailleurs l´auteur de l´introduction des Œuvres parues en 2002 et réimprimées en 2017. Dans sa présentation intitulée «Comment était faite la lampe d´Aladin ?» il conteste l´idée que Marcel Schwob ait été à proprement parler un écrivain parfois oublié : « Marcel Schwob n´a jamais été oublié. Il n´a simplement pas encore trouvé sa juste place. Il lui faudra peut-être attendre autant que Nerval, auquel il fallut plus d´un siècle pour voisiner avec les classiques, ou étiquetés tels. Ainsi que l´on distribuait les romanciers en «grands» et en «petits», on a fini par compartimenter, estampiller et verrouiller une littérature qui n´a que faire des classements, d´un siècle à l´autre». Il rappelle aussi les mots justes de Jean de Palacio qui dans son livre Figures et formes de la décadence (éditions Seghers, 1994) écrivait que si tout se mesure à l´aune du souverain plaisir du lecteur, il n´y a pas d´auteurs majeurs et d´auteurs mineurs, il y a seulement une prodigieuse activité d´écriture qui s´exerce fébrilement dans toutes les directions, bouleversant les hiérarchies, ébranlant les catégories, bousculant les genres. Jean de Palacio ajoutait : « Schwob est encore, pour l´instant, dans un purgatoire littéraire dont il finira par être libéré, parce qu´il est un des auteurs les plus fascinants de la fin du XIXème siècle. Ecrasé par des contemporains que l´on a souvent joués (Jarry), érotisés (Louÿs) ou à qui l´on a attribué des cases sociales, comme Valéry (l´Académie) et Léautaud (le journalisme anecdotique), Schwob a toutefois toujours été lu et son écriture a tenu».          

Marcel Schwob est né en 1867 à Chaville (Seine-et-Oise) et passe son enfance entre Tours et Nantes, avant d´aller résider à Paris chez son oncle Léon Cahun, à la bibliothèque Mazarine, ce qui lui permet, en enfant curieux et en érudit précoce, d´effectuer des lectures et des recherches importantes et de traduire Catulle ! Peu à peu, il fréquente les milieux journalistiques et littéraires parisiens et connaît, entre autres, Paul Claudel, Alphonse et Léon Daudet, Anatole France, Jules Renard, Catulle Mendès et l´ancienne maîtresse de celui-ci, la comédienne Marguerite Moreno qu´il épousera quelques années plus tard. Jules Renard le cite dans son Journal et fut d´abord frappé par la tournure d´esprit vivace, l´intellect élégant et l´érudition impressionnante de Marcel Schwob. Paul Claudel lui dédie Tête d´or et pour Edmond de Goncourt il est «le résurrectionniste le plus merveilleux, le plus illusionnant du passé». Enfin, Paul Léautaud fait un jour état de la fascination que l´on ne pouvait s´empêcher de ressentir en le fréquentant : « Je ne crois pas que personne ait pu le connaître sans être émerveillé par le monde de ses connaissances».

Entre-temps, il fait une des découvertes de sa vie, -on dirait une véritable révélation- l´œuvre de Robert Louis Stevenson, à qui il dédie son recueil de nouvelles Cœur double. Schwob et Stevenson ont été amis de la façon la plus littéraire qui soit : ils ne se sont connus que par lettres. Dans son Dictionnaire égoïste de la littérature française, Charles Dantzig raconte comment Marcel Schwob a trouvé un moyen de rendre hommage à Stevenson quelques années après la mort de celui-ci : « Sept ans après la mort de Stevenson, Schwob malade, accomplit une belle chose triste : ce casanier qui n´avait presque jamais quitté la France prit un bateau et fit une traversée de deux mois pour aller se soigner à Samoa, en réalité pour se recueillir sur la tombe de Stevenson qui y était mort. Il relate son voyage dans des lettres à sa femme qu´on a recueillies sous le titre de Voyage à Samoa (Sa maladie se remarque à certains moments de prose poétique)».   

Quoiqu´il s´impose dans les cercles littéraires parisiens, sa santé donc se fragilise et le 26 février 1905, il expire dans son appartement à Paris.

L´œuvre de Schwob-considérée comme une des œuvres majeures du tournant du siècle par des écrivains comme Borges, Leiris, Breton et Mac Orlan - est éblouissante, riche de détails, peuplée par des êtres réels ou imaginaires, comme une voix venue de la nuit des temps, mais servie, nonobstant, par un langage vif et moderne, nullement poussiéreux.  Selon l´éditeur Jean-Pierre Sicre, son œuvre est novatrice car «Schwob, magicien des plus surprenants, ne se réclame pas de la tradition hérité de l´âge classique –et, plus haut encore, de la Renaissance et du Moyen Âge, voire de l´Antiquité –que pour mieux en subvertir l´héritage, mélangeant subtilement les genres dans le but revendiqué d´inventer une forme qui soit à lui, à lui tout seul : où Histoire et fiction, essai critique et rêverie, conte et chronique n´échangent subrepticement leurs masques qu´afin de nous égarer-c´est-à-dire, en l´occurrence, de nous enchanter à tous les sens de la parole». Un peu dans la même veine, Charles Dantzig affirme, dans l´ouvrage cité plus haut, que Schwob dément un principe fort répandu selon lequel l´érudition tue la création puisque l´érudition sait, la littérature veut découvrir. Or, Schwob est un exemple rare du contraire. Bernard Lazare (1865-1903), journaliste politique et critique littéraire,  l´avait déjà écrit en quelque sorte dans son ouvrage Figures contemporaines : ceux d´aujourd´hui et ceux de demain : « Dire que M. Schwob est un esprit encyclopédique ne serait pas suffisant, car il est des encyclopédistes qui meublent au hasard leur cervelle. Il faut ajouter que M. Schwob est un philosophe, c’est-à-dire qu’il sait ordonner ses connaissances et en tirer profit ». Néanmoins, une des meilleures définitions de Schwob je l´ai lue sous la plume de Yoann Chaumeil : «Schwob fait figure d’homme lucide sur son temps. Il ne cède pas aux mirages de l’idéologie du progrès. Le chemin de fer dans « Le Train 081 » n’a d’autres effets que de diffuser le choléra asiatique de Marseille à Paris. S’il hérite du romantisme par bien des aspects, il ne succombe pas au mythe de l’originalité : il apprend très jeune que la littérature est faite d’emprunts et d’innutrition. Le créateur est à ses yeux celui qui recompose à partir de fragments. L’extrême contemporanéité de Schwob fait de lui un avant-gardiste. L’omniscience du point de vue est annihilée, le réalisme enterré ; il ne reste plus qu’une poétique du multiple fragmentaire, du composé bref, de l’impur épars, poétique toujours décentrée, mettant en cause les distinctions que le siècle avait pu croire solidement établies entre fiction et réel. Il ne cède pas non plus aux sirènes d’une esthétique décadente fin-de-siècle qu’il côtoyait pourtant : en lieu et place d’obscurités symbolistes, nous trouvons une appétence universelle, une poétique de la curiosité enthousiaste qui multiplie les espaces géographiques et historiques. À la manière d’un enfant, il est de ceux qui s’étonneront toujours de la profonde bigarrure de la vie».  

Dans Vies imaginaires, peut-être son recueil le plus réputé, Schwob se livre à un exercice de fiction où l´on croise parfois des bribes de vérité. C´est que l´on connaît des détails sur la vie de certaines figures de l´Histoire ancienne, réelles ou mythiques, mais on en ignore l´essentiel ce qui permet à tout artiste -surtout si c´est l´écriture l´art où il excelle- de donner libre cours à son génie et d'entremêler imagination et mémoire. Ainsi voit-on défiler dans ce livre les vies d´Empédocle, Érostrate, Lucrèce, Pétrone, Paolo Uccello, mais également celles de figures inconnues et ce parce qu´elles ont aussi droit de cité, comme Schwob l´explique lui-même dans sa préface : «Les biographes ont malheureusement cru d´ordinaire qu´ils étaient historiens (...) Ils ont supposé que seule la vie des grands hommes pouvait nous intéresser. L´art est étranger à ces considérations. Aux yeux du peintre le portrait d´un homme inconnu par Cranach a autant de valeur que le portrait d´Erasme (...) Il ne faudrait sans doute point décrire minutieusement le plus grand homme de son temps, ou noter la caractéristique des plus célèbres dans le passé, mais raconter avec le même souci les existences uniques des hommes, qu´ils aient été divins, médiocres ou criminels».

Mais un des multiples aspects du génie de Schwob était son indiscutable talent de conteur, visible en des livres comme Coeur double, un roman sur la condition humaine entre terreur et pitié, Le livre de Monelle, une histoire de mélancolie et de compassion, inspirée par la mort d´une prostituée dont il était amoureux ou La Croisade des enfants *, un recueil de récits faisant référence à un fait historique survenu en 1212 : le départ d´enfants de Vendôme pour Jérusalem, persuadés naïvement de pouvoir conquérir la terre Sainte au nom de l´Empire Chrétien. Quant aux essais de cet auteur original, ils renferment une gamme infinie de connaissances et d´époques, allant d´études sur François Villon jusqu'à des variations sur l´argot.

Enfin, je termine ce petit voyage autour de l´œuvre de Marcel Schwob en rappelant une assertion proférée par un grand érudit, l´écrivain italien Roberto Calasso, il y a quelques années, lors de la présentation de la traduction italienne des Vies imaginaires: «Le feu de ce livre brûle encore : si tant de lecteurs découvrent, de nos jours, chez Borges, les charmes les plus subtils et vertigineux du fantastique et une certaine mathématique occulte de la narration, ils reconnaîtront chez Schwob un maître et un modèle de cette littérature-là».

*Curieusement une version contemporaine de La croisade des enfants a vu le jour en 1959 en Pologne, écrite par Jerzy Andrzejewski. Il s´agissait d´une version assez hardie, traversée par un courant homoérotique, qui ne faisait, en plus, aucune concession au réalisme socialiste. Il va sans dire que ce livre a déconcerté non seulement la bureaucratie officielle et les censeurs du parti, mais aussi le provincialisme bigot des conservateurs polonais. Ces informations, je les tiens du livre El arte de la fuga de l´écrivain mexicain Sergio Pitol (1933-2018), lauréat du prix Cervantès 2005, l´année  où ce livre fut traduit en français (L´art de la fugue, Passage du Nord-ouest).

 

 

 

 


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