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Féru de littérature française et étrangère, ma plume sévit dans diverses colonnes de journaux, de sites internet pour partager ce goût qui m´anime. Que détracteurs ou admirateurs n´hésitent pas à réagir à mes chroniques.

lundi 10 novembre 2008

Le prix Goncourt a été attribué aujourd´hui à Atiq Rahimi.




Atiq Rahimi, une voix universelle.



On ignore les raisons qui auraient poussé Atiq Rahimi, dans son dernier roman, à troquer sa langue maternelle, en l´occurrence le persan, contre le français, la langue certes de l´exil, mais, en même temps, une langue qui n´avait plus de secret pour lui, avant qu´il n´eût décidé de vivre en France, puisqu´il l´avait jadis étudiée au Lycée français de Kaboul, en Afghanistan. Quoi qu´il en soit, c´est un honneur pour la langue française qu´un écrivain de cette trempe l´eût choisie comme moyen d´expression de son art.
Né en 1962, Atiq Rahimi est issu d´une famille de classe moyenne francophile, ayant donc grandi dans un milieu où la littérature et les arts jouaient un rôle important dans l´éducation des jeunes. Mais la personnalité d´Atiq Rahimi s´est épanouie à une époque où son pays, l´Afghanistan, a été secoué par toutes sortes de convulsions, de l´occupation soviétique à la fin des années soixante-dix à l´écroulement de l´empire soviétique, puis à l´irruption du mouvement taliban, l´expression la plus achevée, médiévale et sauvage de l´intégrisme musulman. Ces derniers événements, Atiq Rahimi les a vécus, loin de sa patrie, puisque la guerre l´avait poussé à s´installer dès 1984 au Pakistan et à demander plus tard l´asile politique en France où il a suivi un doctorat dans le domaine de l´audiovisuel à la Sorbonne. De toute façon, la sombre réalité de son pays n´en a pas moins nourri son œuvre.
En 2000, il a publié son premier livre Terre et cendres. De ce livre, on a tiré plus tard un film, dont le scénario a été écrit par Atiq Rahimi lui-même. Le film a fait partie de la sélection du festival de Cannes 2004, dans la rubrique «Un certain regard».En 2002, paraissait son deuxième livre, Les milles maisons du rêve et de la terreur, et en 2005, le troisième, Le retour imaginaire, toujours chez l´éditeur Pol.
Enfin, lors de cette rentrée 2008, Atiq Rahimi a publié son quatrième ouvrage et le premier directement écrit en français : Syngué Sabour, Pierre de patience. Dans la quatrième de couverture, l´éditeur nous explique le sens de cette expression : « Dans la mythologie perse, il s´agit d´une pierre magique que l´on pose devant soi pour déverser sur elle ses malheurs, ses souffrances, ses douleurs, ses misères…On lui confie tout ce que l´on n´ose pas révéler aux autres…Et la pierre écoute, absorbe comme une éponge tous les mots, tous les secrets jusqu´à ce qu´un beau jour elle éclate…Et ce jour-là on est délivré.»
Ce roman raconte l´histoire d´une femme afghane, de celles qui honorent leur condition de femmes. Elle veille son mari, un soldat d´Allah, un de ceux qui se sont laissés enivrer par l´hydre fondamentaliste. Est-il mort ? Est-il encore en vie, quoique grièvement blessé ? Toujours est-il que devant ce corps inerte, la femme égrène un chapelet de plaintes, d´interpellations à Dieu. Un flot de mots s´échappe de sa bouche, des mots exprimant sa colère longtemps rentrée, des mots d´où fuse une révolte de femme soumise à un mari tyrannique, fier de sa condition de mâle et chantre de l´obscurantisme religieux. Même à l´article de la mort, cet homme semble ne pas souffrir, comme nous le montre cet extrait de la page 34 : «L´homme ne réagit toujours pas (…) Aucune plainte. Ni dans les yeux, ni dans le souffle. «Tu ne souffres même pas ?!» Elle remet l´homme sur le dos, se penche sur lui pour le regarder dans les yeux. «Tu ne souffres jamais !tu n´as jamais souffert, jamais !» exhale-t-elle.»
Un jour, elle se fait putain, rien que pour se venger de ce mari, soldat d´Allah, pour qui le sexe ne sert qu´à assouvir son plaisir, celui de la femme ne pouvant jamais exister, ou alors si la femme ose l´exprimer, cela ne peut tenir que du domaine de la perversion.
Entre-temps, la guerre continue. Alors qu´elle veille son mari, le silence à la maison est souvent interrompu par des coups de feu, dehors…
Écrit dans une prose sobre et élégante, ce roman est un cri de liberté et un message d´amour adressé à toutes les femmes victimes de l´intolérance et du fanatisme religieux.
Cet ouvrage est aussi un exemple indiscutable de la vitalité de la littérature en langue française. C´est que, comme je l´ai déjà écrit dans ces colonnes et ailleurs, la littérature française n´est pas que la littérature produite par des auteurs nés en France. Les jurés du prix Goncourt l´ont bien compris...

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