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Féru de littérature française et étrangère, ma plume sévit dans diverses colonnes de journaux, de sites internet pour partager ce goût qui m´anime. Que détracteurs ou admirateurs n´hésitent pas à réagir à mes chroniques.

samedi 28 novembre 2009

Chronique de décembre 2009

Iouri Dombrovski


Victor Serge


Deux voix contre le totalitarisme: Iouri Dombrovski et Victor Serge.


Alors qu´en cette fin d´année on signale un peu partout la chute du mur de Berlin et la fin des soi-disant «démocraties populaires» d´Europe de l´Est, on ne saurait oublier que les racines totalitaires de ce monde qui s´est effondré en novembre 1989 se trouvaient dans l´ancienne Union Soviétique.
Toute une culture de violence et de répression s´est développée, surtout sous la férule de Josef Staline, dans le tout nouveau pays des Soviets, une culture dont la dernière étape pour ceux qui, tombés en disgrâce, étaient quand même parvenus-du moins dans un premier temps- à échapper à la mort, était le Goulag Sibérien. De cet enfer, d´aucuns n´en sont jamais revenus comme les brillants écrivains- parmi les meilleurs que la littérature russe ait produits au vingtième siècle-Isaac Babel ou Ossip Mandelstam et tant d´autres intellectuels ou citoyens anonymes. Certains pourtant y ont purgé leur peine et en sont sortis vivants, ramenant de cette descente aux enfers des témoignages ou des fictions qui ont enrichi la littérature russe comme Soljenitsyne ou Chalamov.
Cette année où l´on commémore le vingtième anniversaire de l´épilogue de la guerre froide, et où l´occasion se présente de remémorer les victimes des purges soviétiques, il est pratiquement passé inaperçu le centenaire de Iouri Dombrovski, écrivain russe, secret, peu prolifique, mais auteur d´une oeuvre qui traduit les angoisses et les obsessions de toute une génération d´intellectuels qui ont connu l´expérience du Goulag, en sont revenus et dont les livres ont été l´objet de toutes sortes de mutilations et d´interdictions puisqu´ils n´obéissaient pas aux canons de la pureté révolutionnaire(un jour, il faudra faire l´histoire de la morale puritaine des révolutionnaires russes, une morale qui épousait parfois, aussi bizarre que cela puisse paraître, la pire tradition des intégrismes religieux).
Né le 12 mai 1909 à Moscou, d´origine juive polonaise et tzigane,Iouri Ossipovitch Dombrovski était diplômé des cours supérieurs de littérature et a également travaillé au Musée national d´Alma-Ata. Ses ennuis avec les autorités soviétiques ont commencé en 1932. Au bout d´une sordide et fâcheuse histoire d´étudiants, Dombrovski- qui étudiait alors à la faculté de théâtre- s´oppose à une votation de l´assemblée étudiante à main levée décidant du sort de trois étudiants inculpés d´avoir tué une femme avant que la Cour n´eût rendu son verdict. La votation a fini par ne pas avoir lieu, mais Dombrovski est à son tour arrêté, inculpé et relégué à Alma -Ata.
En 1937, une affaire de détournement de fonds appartenant à l´État, alors que Dombrovski était directeur d´une école d´adultes à Alma-Ata, est à l´origine de son deuxième séjour en prison. L´instruction a conclu par la suite que les faits étaient imputables à ses prédécesseurs, mais quand les séjours en prison se multiplient, surtout dans une société de plus en plus rongée par la méfiance et la délation, le spectre du soupçon et du doute ne cesse de hanter les esprits et de tacher la réputation des innocents. La troisième arrestation ne saurait tarder. En 1939, un article publié par la Literatournii Kazakasthan, intitulé «Le département de littérature étrangère de la Bibliothèque Pouchkine d´Alma-Ata», mettait en cause, selon les autorités, «les bases de leur inlassable travail dans le cadre de l´activité prolétarienne de la Bibliothèque.» Cette polémique a déclenché une campagne, orchestrée par le régime, bien entendu, qui, à une époque où les procès de Moscou battaient leur plein, ne pouvait déboucher que sur la déportation et la première expérience dans un camp de travail. Réchappé du camp presque par miracle, à la fin de la guerre, il est victime d´une nouvelle arrestation en 1949, au nom de la lutte contre le cosmopolitisme et en raison de la première version de son roman Le singe vient réclamer son crâne. Irina, sa compagne, qui lui a fait découvrir certains auteurs étrangers, parfois introuvables, assumera elle-même, dans le bureau des interrogatoires, le rôle de délatrice en déclarant devant son compagnon : «Oui, Dombrovski lisait Hemingway et pactisait avec les puissances étrangères.»Venus l´arrêter, les agents sont tombés sur un homme courroucé qui, hurlant qu´on l´empêchait de travailler, ne s´est pas privé de jeter l´encrier à leur tête. Dombrovski a cru après cette attitude que sa vie était finie, mais les agents ont réagi de façon plutôt calme, faisant montre d´un certain respect à l´égard de l´accusé. Peut-être n´étaient-ils pas habitués à voir quelqu´un d´aussi intrépide et coriace devant eux. Eux qui s´étaient accoutumés à lire la peur dans les yeux de ceux qu´ils arrêtaient. Quoi qu´il en soit, il est condamné à dix ans de camp à Taïchet. Grâce à la mort de Staline et au dégel kroutchévien, son séjour ne dure que huit ans. Le réapprentissage de la vie civile, la reprise de la vie quotidienne, de ses automatismes routiniers se font dans la douleur tout simplement parce que les anciens détenus des camps dérangent. C´est que l´on n´avait nullement prévu leur retour...
L´oeuvre de Iouri Dombrovski n´est pas particulièrement prolifique comme je l´ai écrit plus haut, mais elle part de l´expérience concentrationnaire et totalitaire pour décrire parfois sous des formes métaphoriques les mécanismes pervers du stalinisme, l´accoutumance des gens au quotidien gris, la répression comme un prétendu phénomène de pureté révolutionnaire et la peur, comme une des armes majeures des dictatures. Malheureusement, un de ses chefs-d´oeuvre, La Faculté de l´Inutile est en ce moment épuisé, mais deux de ses principaux titres sont encore disponibles en français. Les éditions Verdier viennent de republier dans leur collection de poche le roman au titre un tant soit peu exotique Le singe vient réclamer son crâne, publié en russe dans les années soixante après de longues années de travail et quelques remaniements.
L´intrigue de l´histoire, aux allures de fable policière, se situe dans un pays imaginaire qui ressemble à la France occupée par les troupes nazies et où l´on retrouve une famille d´humanistes qui tente de résister à la barbarie. Le professeur Maisonnier est un anthropologue reconnu, dirigeant l´Institut international de paléonthropologie et de préhistoire et ses derniers ouvrages combattent les théories raciales défendues par les Nazis. Ceux-ci pressent le professeur à passer de leur côté. L´auteur invente des officiers nazis falsifiant des fossiles pour rester crédibles, mettant donc en scène un monde redevenu primate. Le narrateur n´est autre que le fils du professeur qui, devenu adulte, fait la chronique de ce temps fatidique. Si l´intrigue, teintée parfois d´humour noir, se déroule dans une France hypothétique occupée par les troupes nazies, on peut y lire en filigrane une dénonciation de toutes les atrocités et tous les mécanismes de pouvoir d´un état totalitaire. Dans les chefs d´accusation qui ont mené à l´interdiction du livre, il y est stupidement écrit que le livre est digne d´être signé par l´écrivain fasciste Jean-Paul Sartra(sic)!
Un autre livre de l´auteur disponible en français est Le conservateur des antiquités(aux éditions La Découverte).Le protagoniste de l´histoire est un fonctionnaire d´Alma-Ata, la capitale du Kazakhstan, qui témoigne des déboires de ses concitoyens dans la société stalinienne de 1937,leur passivité, leur absence d´esprit critique, la peur, l´espionnite aigüe, un climat de suspicion généralisée et la justification de la délation.
Dans La Faculté de l´Inutile, roman aux contours autobiographiques, publié une dernière fois en 2000 par les éditions Albin Michel, la critique du stalinisme est plus directe. La Faculté de l´Inutile est en effet le nom attribué par les policiers et les procureurs à la faculté de droit, étant donné que le code pénal soviétique et la terreur stalinienne ont dépourvu de tout contenu les enseignements qui y étaient donnés. La première édition de ce livre en France, en 1978, serait indirectement à l´origine de la mort de l´auteur le 29 mai de cette année-là, quelques semaines après avoir été battu par des inconnus, probablement des agents du KGB dans la rue. C´est dommage que ce livre, comme je l´ai écrit plus haut, ne soit pas disponible en ce moment. Il est urgent qu´il soit republié tout comme il est important qu´un nombre croissant de lecteurs découvrent l´oeuvre de cet écrivain immense qui pour l´ instant a une audience plutôt minoritaire.
Si Iouri Dombrovski est encore un inconnu pour nombre de lecteurs, on ne peut pas en dire de même pour ce qui est de Victor Serge qui aurait pourtant mérité un public plus large, surtout parmi les lecteurs les plus jeunes. De ce fait, on ne peut que saluer les rééditions récentes (chez Zones, un label des éditions La Découverte) de quelques titres importants de cet auteur, dont L´Affaire Toulaev et Ce que tout révolutionnaire doit savoir de la répression.
Victor Serge (de son vrai nom Viktor Lvovitch Kibaltchiche) est néanmoins né à Bruxelles, le 30 décembre 1890, de parents russes émigrés politiques. Enivré dès sa prime jeunesse par les idéaux anarchistes, il fut arrêté une première fois à Paris pour avoir hébergé et refusé de dénoncer des membres de la célèbre Bande à Bonnot. Il a purgé cinq ans de prison à la Santé qu´il a décrits dans son livre Les hommes dans la prison, écrit en français comme tous ses livres ultérieurs. Une fois sa peine accomplie, il fut expulsé de France et a participé en 1917 à un soulèvement anarchiste à Barcelone. Rentré en France clandestinement, il y fut à nouveau emprisonné et échangé deux ans plus tard en 1919 avec d´autres prisonniers dans le cadre d´un accord franco-soviétique, une période que Victor Serge a relatée dans son livre Naissance de notre force. En mai 1919, il a adhéré au Parti communiste, une filiation que nombre de libertaires ne lui auront pas pardonnée et fut pendant quelques années un grand enthousiaste de la révolution jusqu´à ce que les premières purges lui eussent dessillé les yeux quand au bien-fondé de la morale révolutionnaire ou du moins de ce que l´on pourrait dénommer sa dégénérescence stalinienne. Ayant aidé et encouragé Panaït Istrati à écrire son livre Vers l´Autre Flamme où l´écrivain roumain d´expression française dénonçait l´imposture et l´arbitraire staliniens, Victor Serge, se prononçant souvent contre les purges, est devenu une figure dérangeante pour le régime soviétique. Destitué du parti communiste en 1928,placé sous étroite surveillance des autorités qui lui ont dans le même temps refusé l´autorisation de départ à l´étranger, Victor Serge fut condamné en 1933 à la déportation dans l´Oural(avec saisie de manuscrits par le Guépéou) d´où il fut libéré en 1936, suite à une très forte campagne internationale menée par nombre d´intellectuels européens dont certains étaient communistes. Banni de l´Union Soviétique, il n´y est plus jamais retourné. Proche des troskystes dans un premier temps, il n´a pas voulu adhérer à la Quatrième Internationale qu´il accusait de sectarisme. Réfugié en Belgique et en France avant la guerre, il est parti au Mexique en 1940-un an après la parution de son livre S´il est minuit dans le siècle,son premier roman sur les crimes de Staline- où il a vécu jusqu´à sa mort le 17 novembre 1947, n´ayant jamais cessé de combattre le stalinisme.
L´Affaire Toulaev est un des meilleurs romans jamais écrits sur les procès de Moscou et les purges staliniennes. Il fut publié une première fois quand l´auteur n´était plus, en 1948, par le Club Français du livre, repris l´année suivante par les éditions du Seuil. Cette nouvelle édition contient une belle préface de la très regrettée Susan Sontag, retirée de son livre d´essais At the same time et on nous le présente à juste titre comme un roman révolutionnaire. L´intrigue tourne autour du meurtre en pleine rue d´un apparatchick communiste, le camarade Toulaev, qui déclenche une chasse aux sorcières et la mise en place d´un état policier où l´on cherche à tout prix un coupable et l´on élimine ainsi des adversaires politiques dérangeants. Les suspects sont détenus et interrogés et ils ont en commun le fait qu´aucun d´entre eux n´est le meurtrier du camarade Toulaev. On voit défiler les personnages-dont le narrateur brosse un admirable portrait-au fur et à mesure qu´ils tombent en disgrâce. Entre un dirigeant de haut rang arrêté dans une station perdue après son retour à Moscou et un autre que des agents sont allés chercher alors qu´il passait la soirée à l´Opéra, il y a la même stupeur devant ce qui leur arrive même si parfois des indices laissaient supposer que leur étoile avait considérablement pâli. Le plus surprenant étant quand même que, assez souvent, la machine policière et répressive amenait les inculpés à confesser des crimes qu´ils n´avaient pas commis. La tyrannie était si pressante que certains inculpés allaient jusqu´à croire que leurs attitudes dérogeaient aux principes moraux qui étayaient la révolution.
Dans la même collection, paraît aussi un autre livre- plus ancien celui-ci-de Victor Serge: Ce que tout révolutionnaire doit savoir de la répression. Publié pour la première fois en 1925, il est inspiré par la lecture que Victor Serge avait faite des archives secrètes de la Okhrana, la police politique tsariste. Il en dresse un guide pratique des techniques de répression policière, des techniques qui, mises à jour par les nouveaux moyens informatiques et technologiques à la disposition des oppresseurs et des tortionnaires, n´ont pas pris, par bien des côtés, une ride. Victor Serge au moment où il écrivait ce livre ne pouvait nullement s´imaginer que le régime révolutionnaire auquel il avait adhéré serait devenu sous peu un digne héritier de certaines pratiques totalitaires de la police tsariste...
Cette édition, établie et annotée par Jean Rière, est enrichie d´une préface d´Éric Hazan et de deux postfaces: la première de Francis Dupuis-Déri sur les techniques modernes de contrôle policier et la deuxième de Richard Greeman, intitulée Victor Serge et la répression policière.
Iouri Dombrovski et Victor Serge, deux insoumis, deux anticonformistes, deux hommes qui ont aimé avec la même ferveur la littérature et la liberté...

À lire:

De Iouri Dombrovski:

-Le singe vient réclamer son crâne, traduction du russe par Dimitri Sesemann, préface d´Hélène Châtelain, éditions Verdier.

-Le conservateur des antiquités, traduction du russe et postface de Jean Cathala, éditions La Découverte.

De Victor Serge:

-L´Affaire Toulaev, préface de Susan Sontag, éditions Zones.

-Ce que tout révolutionnaire doit savoir de la répression, préface d´Éric Hazan, postfaces de Francis Dupuis-Déri et Richard Greeman, éditions Zones.

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