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Féru de littérature française et étrangère, ma plume sévit dans diverses colonnes de journaux, de sites internet pour partager ce goût qui m´anime. Que détracteurs ou admirateurs n´hésitent pas à réagir à mes chroniques.

mercredi 28 octobre 2015

Chronique de novembre 2015






Guy Dupré, un écrivain ultra -secret et rarissime.

Il est des écrivains secrets et rares et il en est d´autres dont on pourrait dire qu´ils sont ultra -secrets et rarissimes. On pourrait indiscutablement inclure dans ce deuxième registre Guy Dupré, né en 1928, de mère française et grand-mère nippone. Je ne puis m´empêcher de vous avouer que j´ai un petit faible - qui risque de vous paraître paradoxal, tant mon enthousiasme pour les livres prend d´ordinaire des allures de passion frénétique et incandescente - pour ces écrivains qui chôment pendant dix, vingt, voire trente ans. Si l´on sent que l´on n´a rien à dire, il vaut peut-être mieux ne pas galvauder son talent. Entre le succès de son premier livre Les fiancées sont froides (1953) et la parution de son deuxième ouvrage Le grand coucher (1981) il y a un silence de vingt-huit ans, pendant lesquels il a quand même écrit des préfaces et des articles (notamment pour Paris Match, Combat et La Parisienne) et travaillé comme conseiller littéraire chez Plon, ce qui n´a pas suffi à le retirer de l´oubli. On aurait d´ailleurs envie de parier que nombre de libraires en France, surtout les plus jeunes, n´auront jamais entendu parler de Guy Dupré. Et pourtant il est l´auteur d´une des plus belles proses de la littérature française contemporaine. Une dizaine de livres tout au plus, jusqu´à ce jour, ont fait la réputation de cet auteur mythique - inconnu du grand public mais vénéré par un nombre important de critiques littéraires - dont l´écriture baroque, somptueuse et chatoyante ne peut qu´envoûter les lecteurs à l´esprit et à la sensibilité - et pourquoi ne pas ajouter à la sensualité ? - les plus raffinés.
Son premier roman, Les fiancées sont froides, fut dans un premier temps refusé par Gallimard avant d´être publié sous les auspices des éditions Plon, après suggestion de Julien Green et il a connu un grand succès auprès de la critique littéraire de l´époque. Dans Esprit, par exemple, Albert Béguin écrivait que Guy Dupré recourait à une sorcellerie verbale aux ressources peu communes. Le livre a suscité d´autres commentaires élogieux notamment dans Réforme et Les Lettres Françaises.
L´action du roman se déroule dans les années 1815-1835 environ, près de la mer Baltique et porte sur le thème de la désertion. Des hussards -tout un régiment- manquent à leur devoir viril et succombent à l´amour grec. Le narrateur, pour s´être laissé soupçonner de fiançailles avec une jeune fille, est traduit en conseil de guerre et il n´échappe au peloton qu´en acceptant une mission insolite : retrouver les sépultures de hasard de hussards tombés naguère dans une embuscade. Après force péripéties, le narrateur finira par jeter une foule d´amoureuses qu´il a rameutées à l´assaut des hussards. Ces femmes infligent à ceux-ci d´abominables tourments et d´amoureux supplices. C´est l´une des lectures possibles -la plus courante- de ce roman éblouissant quoique d´un accès, il est vrai, un peu difficile. Mais la plus belle définition de ce roman, nous la trouvons dans la préface d´une des dernières éditions en date (éditions du Rocher, 1992), sous la plume de François Nourissier, au travers d´une comparaison cinématographique : «Puisque Dupré est cinéphile, je voudrais rappeler ici un cinéaste : le Hongrois Miklos Jancso, dont les tournoyantes rhapsodies, les lents ballets dans la putsza de cavaliers hiératiques, me revenaient en mémoire pendant toute ma relecture des Fiancées et se superposaient à l´image des patrouilles, dans les marais du Nord, des hussards et des junkers réinventés par Dupré, qui enveloppaient de chiffons, dans la nuit brumeuse, les sabots de leurs chevaux».
On a souvent écrit que la prose de Guy Dupré tenait de Hölderlin, de Novalis, de Nerval, de Jünger, de Breton, de Yourcenar, enfin de Julien Gracq. On l´a beaucoup rapproché des romantiques allemands et fait de lui l´héritier des surréalistes. On l´a souvent associé au mouvement littéraire des Hussards (nom donné par l´inénarrable Bernard Frank) qui rassemblait entre autres Roger Nimier, Jacques Laurent, Antoine Blondin ou Michel Déon, un mouvement aux racines de droite, antigaulliste, qui s´opposait aux existentialistes et à la figure de l´intellectuel engagé incarnée par Jean-Paul Sartre. Quoi qu´il en soit, Guy Dupré est avant tout un des écrivains les plus originaux qui soient.
Les thèmes de sa prédilection -la littérature, l´amour et les belles « proies féminines» ou la guerre- se retrouvent dans les romans suivants : Le grand coucher (1981) et Les Mamantes (1986) (1)


 Interrogé -dans un entretien accordé à Christopher Gérard en 2006-sur la possibilité que l´écrivain fût au bout du compte fils et père de personne et que l´on pût voir dans ses œuvres (notamment chez Les Mamantes) l´obsession du refus d´engendrer, Guy Dupré a expliqué : «Dans chacun de mes trois romans le narrateur s’adresse à l’autre : dans Les Fiancées sont froides le hussard devenu écrivain public s’adresse à un hussard qui pourrait être son fils et qui a lui-même déserté ; dans Le Grand Coucher le récitant dédie son mémoire à la veuve qui servait d’appeau au colonel recruteur ; l’amant en deuil des Mamantes explique à une jeune vivante pour quelles raisons occultes il a si longtemps refusé de lui faire l’amour « à la papa ». Il y a chez les trois désertion, abandon de corps, refus de reconnaître le père comme le fils – trahison de l’histoire humanoïde au profit d’une affiliation d’ordre extra-mondain. Il leur faut transgresser la loi naturelle, substituer à la loi du sang qui régissait l’ancien pacte social la règle d’une transmission elle-même garante d’une filiation élective.»


En 1989 il publie Les manoeuvres d´automne, un livre (un «mémoire», comme la plupart de ses livres, de l´aveu même de l´auteur) qui reçoit le premier prix Novembre (rebaptisé prix Décembre, il y a quelques années). Dans une réflexion sur la littérature et l´histoire des guerres franco-allemandes et franco-françaises, Guy Dupré fait le récit d´une éducation sentimentale et intellectuelle où l´on côtoie Mitterrand, Julien Green ou Julien Gracq (vivants à l´époque) et où l´on croise les ombres, entre autres, de Charles de Gaulle, Maurice Barrès et ses amoureuses, le général Weygand, O.V.L.Milosz, Albert Cohen ou Roger Nimier et la belle et mythique Sunsiaré de Larcône, morts tous les deux dans ce tragique accident de voiture en 1962 (2).
Dans ce «mémoire» donc, on peut lire des jugements aussi originaux que clairvoyants. Sur  François Mitterrand, il écrit notamment ce qui suit : «Ni père ni mère, mais «oncle», François Mitterrand nous touche parce qu´il est le dernier président qui appartienne à la génération précédant la nôtre-la génération de «nos chers prisonniers» dont il fut le porte-parapluie. Nous le regardons vieillir avec une curiosité de moins vieux crocodiles. Bientôt nous mettrons nos petits pas dans ses petits pas, et nos sillons dans ses rides. Il luttait avec bravoure contre la décomposition, parlait très bien du crépuscule et aurait pu laissait son nom aux vestiges de la forêt gauloise. L´illusion du sceptre, la satisfaction de pouvoir tutoyer de Gaulle aux enfers, ne suffisaient pas à lui brouiller l´éternel tableau déchirant du départ de la volupté. Cythère s´éloignait, même s´il retournait à Venise. Bientôt nous redirions comme lui à nos Occitaniennes : «Si tu me dis que tu m´aimeras comme un père, tu me feras horreur, si tu prétends m´aimer comme une amante, je ne te croirais pas»».
Tout aussi intéressantes, par exemple, les lignes consacrées à Julien Green : « C´est par sa pureté au sens chimique du mot, comme par son étrangeté à l´univers judéo-romain que Julien Green m´avait aimanté. Lui aussi servait la littérature française à titre étranger. Sudiste, il appartenait à une nation de vaincus et m´apparaissait comme un total hors-la-loi et hors-les-règles. Doté du troisième œil et de la troisième oreille qui font défaut aux écrivains de chez nous, il me rappelait que l´invisible a sa faune et que la préparation à l´après-chair n´est pas régie par les modes du siècle, qu´elle existe indépendamment de ce que les philosophies du siècle pensent d´elle. La superposition en lui de ses patries américaine et française, son insensibilité aux entraînements du plus grand nombre, me rendaient fraternel ce qu´il représentait d´incomparable. Dans le Paris positiviste et manichéen des années soixante, il semblait le chargé de mission, l´envoyé du royaume qui n´est à personne. Dernier romancier resté libre d´attaches profanes, pour qui l´ acte d´écrire  engageait la seule âme intérieure, et chez qui la recherche de la vérité ne se confondait pas avec la préoccupation du salut par les autres.» 

  En 2001, paraît chez Grasset un livre de souvenirs, Comme un adieu dans une langue oubliée (qui a failli s´intituler Lèvres, serez-vous jamais la chair de mon coeur ?, un titre tout aussi beau que celui qui a enfin été choisi). Dans une prose éblouissante ne dérogeant nullement au parangon des ouvrages précédents, il fait défiler au gré de ses souvenirs et avec un sens du portrait impeccable une myriade de personnalités  littéraires et militaires. Du végétarisme d´Hitler aux obsessions du maréchal Pétain, de l´Indochine à Verdun, d´André Breton à l´âme expatriée aux angoisses de Bernanos, du sédentarisme de Julien Gracq à l´esprit tourmenté de Julien Green (encore), l´évocation, la nostalgie, l´histoire sous-tendent la plume étincelante de cet écrivain et mémorialiste hors du commun qu´est Guy Dupré. Lui seul sait nous raconter ces petites histoires oubliées de la grande histoire comme entre autres la sombre mais vraie prophétie du général Charles Mangin qui le 11 novembre 1918, jour de l´Armistice de la Première Guerre Mondiale, en réponse à une question du professeur Robert Proust (frère de Marcel et directeur des services de santé de l´armée Mangin) avait affirmé en guise de prédiction : «C´est un jour de deuil pour la France. Il fallait franchir le Rhin et entrer en Allemagne. Les Allemands ne reconnaîtront jamais leur défaite. Dans vingt ans tout sera à recommencer.»Le général serait foudroyé sept ans plus tard par une crise d´urémie dont la brutalité a soulevé des soupçons d´empoisonnement. Décoré à titre posthume, sa veuve a refusé la médaille militaire, conformément à la volonté de son mari. Avant de prendre congé, Mme Mangin a dit à Pétain (que le général Mangin ne tenait pas en haute estime et réciproquement) que la médaille on aurait dû la lui (à son mari) donner sept ans plus tôt. La seule statue que les Allemands aient fait sauter, à Paris le lendemain de leur invasion, fut tristement celle du général Mangin, Place Vauban…

  
 En 2003, paraît aux Éditions du Rocher Dis-moi qui tu hantes où l´on peut retrouver la plupart des préfaces, des articles et des petits essais écrits par l´auteur et en 2010 chez Bartillat, L´âme charnelle, le journal  qu´il a tenu dès l´année 1953 jusqu´en 1978. Ses œuvres les plus anciennes sont régulièrement rééditées.   

À l´âge de 87 ans, peut-on encore attendre de nouveaux livres de Guy Dupré ? On l´ignore et ce parce que  le temps de l´écrivain n´est pas celui du lecteur et encore moins celui de l´éditeur…



(1) Une réédition des trois romans de Guy Dupré, en un seul volume, a vu le jour en octobre 2006 aux éditions du Rocher.

(2)Lire, à ce sujet, le beau récit La reine du silence, prix Médicis 2004, disponible chez Gallimard, en grand format et en édition de poche (collection folio). Ce livre a été écrit par Marie Nimier, fille de Roger Nimier.


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