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Féru de littérature française et étrangère, ma plume sévit dans diverses colonnes de journaux, de sites internet pour partager ce goût qui m´anime. Que détracteurs ou admirateurs n´hésitent pas à réagir à mes chroniques.

mardi 27 février 2018

Chronique de mars 2018.



Agustin Gomez-Arcos, l´«apatride» franco-espagnol. 


Le lendemain de la mort d´Agustín Gomez-Arcos, survenue le 20 mars 1998, le quotidien madrilène El Pais titrait : «Mort à Paris d´Agustín Gomez-Arcos, auteur qui a combattu l´oubli de la mémoire franquiste». Quoique peu connu dans son pays natal, qu´il avait quitté en 1966, le plus grand quotidien espagnol lui a consacré une page entière le lendemain de sa mort alors qu'en France, son pays d´adoption, sa disparition n´a pas suscité le même intérêt. Un paradoxe étant donné qu´à l´époque il était un inconnu dans son pays alors qu´en France il avait connu tous les honneurs.
Agustín Gomez-Arcos est né à Enix, près d´Almeria, le 15 janvier 1933, issu d´une famille républicaine. Son père fut maire avant le franquisme et donc voué aux gémonies après le triomphe du Caudillo. Il eut donc une enfance douloureuse qu´il a en quelque sorte racontée dans son roman L´enfant pain (1985) au contenu autobiographique. Lors de la parution de ce roman en mars 1983 aux éditions du Seuil, Michèle Gazier écrivait dans Télérama : «Pour Gomez-Arcos le ciel est vide. Le sacré est dans les gestes les plus humbles : pétrir le pain, peser l´alfa, écrire. Tel un artisan obstiné qui reprend sans cesse son ouvrage, il sculpte dans la langue française des fresques hiératiques, tableaux sublimes, scènes d´une vie qu´il ne peut ni veut oublier».
Avant sa carrière littéraire en France, composée de treize romans, Gomez-Arcos a suivi des études de droit, a écrit de la poésie et s'est fait remarquer comme jeune dramaturge, en Espagne, au début des années soixante avec des pièces comme Élecciones generales (Élections générales), inspirée par Les Âmes Mortes de Gogol, Los gatos (les chats) et Dialogos de la herejía(Dialogues de l´hérésie) qui a même été couronnée du prestigieux prix Lope de Vega. Cependant, malgré ce succès et les applaudissements de la critique, la censure franquiste allait frapper d´interdit ses pièces qui ne pouvaient donc plus être jouées. À la fois déçu et mû par un esprit de révolte qui allait marquer toute son œuvre, il a choisi l´exil, se fixant -comme nombre de ses compatriotes avant lui- en France, après un court séjour en Angleterre.
Dans ses premières années en France, il a sûrement broyé du noir, faisant jouer des pièces dans de petits cafés-théâtres. Ce n´est qu´en 1975 qu´il s´est fait connaître du monde littéraire français en écrivant, dans la langue de Molière, un roman qui allait remporter le prix Hermès, L´Agneau carnivore, où il racontait la passion homosexuelle et incestueuse entre deux frères issus de la bourgeoisie franquiste, un livre d´une liberté de ton assez rare. Les romans de Gomez-Arcos (curieusement, en troquant l´espagnol contre le français, il s´est également mué en romancier, cessant d´écrire des pièces de théâtre), provocateurs et imprégnés d´une philosophie anarchisante, sont peuplés de figures grotesques, de viscères, de bourgeoises provinciales et bigotes, de tortionnaires et de curés. L´hypocrisie de l´église catholique espagnole et sa collaboration avec le régime fasciste sont vertement stigmatisées par Gomez-Arcos qui se déclarait naturellement athée : «Je remercie le catholicisme de m´avoir fait croire que, finalement, Dieu n´existe pas» a-t-il écrit un jour.
L´univers féminin a lui aussi une place de choix dans ses romans. Dans Maria Republica (1976), il raconte l´histoire d´une jeune prostituée surnommée la «putain rouge» qu´une tante bigote essaye de régénérer. Un roman politique et anarchiste de toute évidence. Claude Mauriac écrivait dans Le Figaro : «Ce roman, admirable et terrible, m´a glacé, au moment où je criais au sublime. C´était l´horreur, soudain. L´intolérable pur, après la pure beauté».
Dans ce registre de fortes personnalités féminines, on signale encore  Ana non (1977), couronné de nombreux prix-Le Roland Dorgèles, Le Thyde Monnier (Société des Gens de Lettres) et le Prix du Livre Inter-, qui décrit le fabuleux voyage d´une femme-Ana Paücha, pauvre andalouse, épouse et mère de pêcheurs- qui parcourt tout le pays pour visiter son fils en prison. Un succès qui a été porté à l´écran par Jean Prat et où le rôle principal a été joué par Germaine Montero.
 Juliana-protagoniste du roman L´enfant miraculée (1981)-n´a, quant à elle, que douze ans lorsqu´elle cède aux avances d´un valet de ferme. Au dernier moment, elle prend peur et crie au viol. Quand on l´examine, on constate qu´elle est encore vierge. Aussi une cabale de bigotes la transforme-t-elle en enfant miraculée. Ange diabolique habité par la rancœur et le désir inassouvi, elle commence à faire peur et deviendra pour les gens de son village, au plus fort de la fête de la Vierge, Juliana la folle. Et, bientôt, la Sanglante…  
À un autre niveau, on retrouve un personnage féminin intrépide dans le roman Un oiseau brûlé vif(1984) où l´étage noble des Trois Palmiers est devenu, au fil des ans, lieu de culte et champ de bataille où Paula Pinzon Martín vénère les fétiches de la tyrannie et la mémoire de sa mère, la divine Celestina, morte d´avoir été abandonnée. Paula y refait la guerre civile que son père, le brigadier Abel Pinzon, a gagnée contre les républicains, mais sans avoir su tirer les fruits de la victoire. En une cérémonie cruelle et dérisoire, Paula livrera le dernier combat de la mémoire, lutte monstrueuse où las réalité compte moins que les délires de l´imaginaire. Dans les colonnes du Figaro, André Brincourt témoignait de son admiration pour ce roman: «J´ai rarement lu un livre qui glisse aussi facilement, aussi inexorablement de la réalité au rêve, tout en gardant le même ton, le même bonheur, la même chaleur d´écriture, le même sourire distant et foudroyant».
Enfin, en 1992, dans Mère Justice-un titre qui nous rappelle la célèbre Mère Courage de Bertold Brecht-, nous avons droit à l´histoire d´une femme privée de son fils, le jeune Julien. Un fils né de la relation avec un immigré clandestin malien vite renvoyé chez lui. Un jour, Julien est tué lors d´une banale escarmouche par un jeune Français blond aux yeux bleus que la justice amnistie illico. La mère-symboliquement sans nom- ne supporte pas ce qu´elle conçoit comme une humiliation, encore une des multiples humiliations subies le long de sa vie et dont elle se souvient en déambulant dans Paris. Elle va tuer, mais, à la fin,  la vengeance n´aura rien résolu…   
La figure du tortionnaire franquiste a été excellemment dépeinte dans le roman Scène de chasse (furtive), un livre de 1978, où le protagoniste don Germán Enriquez, bourreau on ne peut plus sadique, sera finalement tué par le rejeton de la seule victime sortie vivante de ses mains. Au sujet de ce livre, je me rappelle toujours les propos de Béatrice Montamat qui a tenu pendant une dizaine d´années une librairie française à Lisbonne. Elle m´a parlé un jour de son expérience en tant que lectrice de ce roman, à la fois éblouie par sa qualité littéraire et troublée par les horreurs qui y étaient décrites. Scènes de chasse (furtive) c´est le  roman de la cruauté franquiste de cette Espagne de feu et de sang, impitoyable à l´égard des vaincus. À la fin, pourtant, tous, vainqueurs et vaincus, sont inexorablement défaits par la mort : «Même honoré, un cadavre n´est que ça : un pas géant vers l´oubli. Un poids vertical que la mort enfonce lourdement dans la terre. Un point d´arrivée sans promesse d´attente. Un tout qui devient rien. Un rien qui va vers le néant. Aller simple. Sans retour».
Eric Deschodt a écrit un jour dans le Figaro –Magazine que la compassion de Gomez-Arcos pour les déshérités l´apparentait à Dickens et à Victor Hugo et cela est visible dans un roman comme L´Aveuglon (1990) où Khalil, surnommé Marruecos, est pauvre  et aveugle, un enfant de la Médina marocaine où il côtoie des artisans, des prostituées, des personnages hauts en couleur. Bref, le roman de la misère de l´enfance. Dans un roman précédent, L´Homme à genoux (1989), l´auteur raconte l´histoire d´un jeune homme qui quitte un village minier et la mère de son enfant pour une ville côtière du sud de l´Espagne Il veut vivre au soleil et jouir du boom économique. Néanmoins, il ne fait que vivoter. De petits métiers misérables en rencontres malencontreuses, il se retrouve un jour à genoux sur une place publique, au milieu de passants qui le contournent avec indifférence ou inquiétude, seul derrière sa pancarte : «Mes frères, je n´ai pas de travail-Mère, femme et enfant sont restés au village-Le besoin me met à genoux devant vous-pour demander l´aumône –Merci». Ce roman est un réquisitoire contre les sociétés d´abondance et contre l´Espagne post- franquiste, le revers de la médaille du miracle économique espagnol où l´écart se creusait entre profiteurs et parias.
Puisqu´on évoque les parias, c´est un peu aussi la figure du paria qui nous est décrite-quoique d´une façon drôle et picaresque –à travers le héros du roman La femme d´emprunt, José dit «Pepito», fils d´un général franquiste, qui se sent femme depuis toujours. À la fin, il conquiert sa vraie nature, mais jusque là Pepito doit faire face à l´hypocrisie d´une société  puritaine et bigote. La diatribe paternelle qui est à l´origine de l´expulsion manu militari de l´enfant dénaturé de sa maison est précédée d´une scène où Pepito est embarqué en prison en compagnie d´ un lieutenant qui, se sentant floué, l´avait roué de coups. Le père du lieutenant, un colonel, n´a fait sur la situation embarrassante qu´un seul commentaire illustrant à merveille l´hypocrisie de l´époque : «Enculer est un acte de mâle et mon fils est un mâle». Vieille histoire selon laquelle le sodomisé est homosexuel mais celui qui sodomise un homme ne l´est pas.        

 
                               
Agustin Gomez –Arcos a toujours connu en France un énorme succès, ne serait-ce qu´un succès d´estime. Quoi qu´il en soit, il fut pendant deux décennies un auteur fort apprécié. On disait même qu´il était à l´époque l´écrivain favori du président François Mitterrand. En effet, la parution de chaque nouveau roman d´Agustin Gomez-Arcos déclenchait un vieux rituel : la visite du chauffeur du président chez l´écrivain pour recevoir un exemplaire dédicacé.
Agustín Gomez-Arcos a raté de peu le Goncourt à deux reprises : en 1978 avec Scène de chasse (furtive), l´année où le vainqueur fut Rue des boutiques obscures de Patrick Modiano, et en 1984 où L´oiseau brûlé vif fut finaliste derrière L´amant de Marguerite Duras.  En 1990, il a reçu le Prix du Levant et en 1995 il a été fait Chevalier des Arts et des Lettres.
Si le franquisme l´a poussé à l´exil, la transition et le retour de l´Espagne à la démocratie ne l´ont pas pour autant réjoui. Certes, il se déplaçait souvent en Espagne, mais il se rendait compte que le franquisme imprégnait encore les esprits dans un pays verrouillé pendant presque quatre décennies. Par-dessus le marché, on ne faisait nullement le procès des crimes franquistes et tout tendait à l´effacement. Il fallait passer l´éponge sur les atrocités de cette période sombre de l´histoire espagnole au nom de la réconciliation et cet oubli, Gómez-Arcos ne pouvait point le supporter : «Je m´étonne que l´on parle du franquisme comme de l´ancien régime et je me demande ce qu´il y a derrière tout ça. Est-ce qu´on veut nous faire accepter que c´est tout à fait normal que le pays ait vécu pendant quarante ans sous une dictature ? Je ne puis le comprendre. Si, à vrai dire, je le comprends très bien. C´est pourquoi j´écris ce que j´écris», a-t-il confié à El País en 1985.
 Eduardo Haro Tecglen (1924-2005), figure mythique du journalisme espagnol, a expliqué un jour le dilemme de Gomez-Arcos : Espagnol en France, il était étranger dans son propre pays. Pourtant, ces dernières années, il y a un regain d´intérêt en Espagne pour son œuvre : ses romans sont traduits ou réédités en espagnol- surtout grâce à la maison d´édition Cabaret Voltaire-, ses pièces sont jouées et une rue porte son nom à Almeria. Par contre, en France, la plupart de ses livres sont aujourd´hui scandaleusement épuisés. Une injustice que les maisons d´édition françaises se doivent de réparer au plus tôt sous peine de voir tomber dans l´oubli un des écrivains de langue française les plus inventifs du dernier quart du vingtième siècle.

 Note : L´œuvre romanesque d´Agustín Gómez-Arcos fut publiée chez plusieurs éditeurs: Le  Seuil, Stock, Fayard, Le Pré-aux-Clercs, Julliard.

Romans non cités dans l´article :

Pré-Papa ou roman de fées(1979) ; Bestiaire (1986) ; L´ ange de chair (1995). 



2 commentaires:

María D. Valderrama a dit…

Très beau hommage à Agustín Gómez Arcos. Je partage votre étonnement par l'oublie qu'il y a au tour de sa figure en France aujourd'hui. Auriez vous un e-mail où je puisse vous contacter ?

merci bien

Fernando Couto e Santos a dit…

María D.Valderrama,

Je m´excuse mais ce n´est qu´aujourd´hui que je me suis aperçu que vous aviez écrit ici un commentaire. Je vous en suis reconnaissant.
Si vous voulez me contacter, vous pouvez le faire à travers les mails qui suivent:
fcsdilettante@gmail.com
fernandocoutosantos@hotmail.com
Si vous préférez m´écrire en espagnol, vous pourrez le faire, je le parle et le comprends bien.
Cordialement,

Fernando Couto e Santos