C´est avec une énorme tristesse que je viens d´apprendre la mort hier à Xalapa, au Mexique, à l´âge de 85 ans,d´un écrivain que j´admirais énormément: Sergio Pitol.
En guise d´hommage, je reproduis ici un article que je lui ai consacré en février 2007 pour le site de la Nouvelle Librairie Française de Lisbonne:
Sergio Pitol ou l´art de la fugue.
«Dans
mon adolescence quand j´ai commencé à écrire, les deux écrivains qui
m´intéressaient le plus, ceux que j´admirais totalement étaient Faulkner et
Borges. Mais avec Borges, j´avais conscience que si je m´approchais trop de
lui, je ne serais qu´un esclave de son langage, je n´en serais qu´une copie».
Ces assertions que Sergio Pitol a tenues à Silvina Friera du quotidien argentin
Pagina 12, en décembre 2005, quelques jours après qu´on lui eut attribué le
prix Cervantès, illustrent on ne peut mieux la personnalité de cet écrivain
mexicain, un homme plutôt modeste, mais, de son propre aveu, un brin excentrique.
Son grand ami et compatriote, l´essayiste et critique littéraire Carlos
Monsiváis a écrit un jour que chez Pitol l´intelligence, l´humour et la colère
ont toujours été ses grands atouts et l´Espagnol Enrique Vila-Matas le tient
pour un de ses maîtres. Toujours est-il que lorsque le lauréat du prix
Cervantès 2005 fut annoncé, d´aucuns se sont étonnés que la consécration soit
tombée sur un auteur, certes talentueux mais relativement discret.
Sergio
Pitol est né en 1933 à Puebla et ses premières années se sont déroulées sous le
signe de la tragédie. À l´âge de quatre ans, il perd sa mère, noyée dans une
rivière. Deux ans après, une méningite emporte son père et sa sœur finit elle
aussi par mourir de «désespérance». Le petit Sergio est alors élevé par sa
grand-mère et ses tantes et c´est cloué au lit, à cause d´une grave maladie
(malaria), qu´il se laisse séduire par les mots. La fantaisie, les voyages
imaginaires et l´émerveillement qui en découle le poussent dans les bras de
celle que l´on pourrait, à bon droit, surnommer sa première maîtresse, qu´il
n´a d´ailleurs jamais quittée : la littérature.
Après
des études de droit et de philosophie à Mexico, il suit une carrière
diplomatique qui seule lui permet d´assouvir ses grandes passions : les
livres et les voyages. De ses séjours - temporaires ou prolongés - dans nombre
de villes européennes comme Rome, Barcelone, Bristol (où il a enseigné un
temps), Paris, Varsovie, Budapest, Prague et Moscou, il nous rapporte dans ses
livres les mouvances de leur vie culturelle et littéraire. Il nous fait
partager de façon enjouée l´enthousiasme pour les écrivains et les lieux qu´ils
chérissent. Sergio Pitol est d´ailleurs un remarquable traducteur, entre
autres, de Conrad, James, Jane Austen, Pilniak et d´un de mes auteurs culte, le
majestueux Witold Gombrowicz. Comme traducteur, il a également travaillé en
Chine, dans les années soixante.
Mais
en quoi consiste-t-elle, au fond, la magie de Pitol qui séduit tant de lecteurs
ces derniers temps ? Il faut dire tout d´abord qu´en vérité, Pitol n´a
longtemps été qu´un auteur-culte. Même au Mexique il était, il y a peu,
relativement méconnu. Ceci peut s´expliquer, selon la plupart des observateurs,
par le fait qu´il a vécu la majeure partie de sa vie à l´étranger, mais aussi parce
que son œuvre fuit les thèmes traditionnels de la littérature mexicaine, à
savoir l´identité nationale et la révolution trahie.
Quoiqu´il
eût écrit quelques romans fort remarqués comme El tañido de una flauta
(Le son d´une flûte), Domar a la divina garza (Mater la divine garce)
ou La vida conyugal (La vie conjugale), c´est dans le conte que le
talent de Pitol éclate au grand jour. Nocturno de Bujara (Nocturne de
Bujara) en est probablement celui où il atteint le sommet de son art. Mais en
général les contes de Pitol renvoient à la dimension onirique, des histoires où
la réalité et la fiction se côtoient jusqu´à s´y confondre et où souvent le
dénouement est laissé inachevé suscitant de multiples interprétations et
invitant les lecteurs à donner libre cours à leur imagination et au déferlement
de leurs rêves.
Mais
Pitol est aussi un écrivain remarquablement innovateur dans ses essais, si tant
est que l´on puisse coller cette étiquette à des livres comme El arte de la
fuga (L´art de la fugue) ou El mago de Viena (Le mage de Vienne)
qui constituent en fait un genre délicieusement hybride tenant de
l´autobiographie (mais seulement dans la mesure où elle se projette vers
l´extérieur pour acquérir une voix impersonnelle), du journal de bord et de
l´essai littéraire, délivré pourtant de cette gangue académique un tant soit
peu amidonnée qui tue le plaisir de la lecture.
Le
secret de cet écrivain remarquable tient peut-être au fait que dans ses livres,
il nous transmet - d´une façon parfois transfigurée - le témoignage de
quelqu´un ébloui par l´inépuisable richesse du monde. Comme si son regard était
parfois celui de l´ enfant, au sourire incomparable, qu´au bout de compte
Sergio Pitol pour notre joie, n´a jamais cessé d´être…
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