Qui êtes-vous ?

Ma photo
Féru de littérature française et étrangère, ma plume sévit dans diverses colonnes de journaux, de sites internet pour partager ce goût qui m´anime. Que détracteurs ou admirateurs n´hésitent pas à réagir à mes chroniques.

vendredi 13 avril 2018

La mort de Sergio Pitol.

C´est avec une énorme tristesse que je viens d´apprendre la mort hier à Xalapa, au Mexique, à l´âge de 85 ans,d´un écrivain que j´admirais énormément: Sergio Pitol.
En guise d´hommage, je reproduis ici un article que je lui ai consacré en février 2007 pour le site de la Nouvelle Librairie Française de Lisbonne:


   
Sergio Pitol ou l´art de la fugue.

«Dans mon adolescence quand j´ai commencé à écrire, les deux écrivains qui m´intéressaient le plus, ceux que j´admirais totalement étaient Faulkner et Borges. Mais avec Borges, j´avais conscience que si je m´approchais trop de lui, je ne serais qu´un esclave de son langage, je n´en serais qu´une copie». Ces assertions que Sergio Pitol a tenues à Silvina Friera du quotidien argentin Pagina 12, en décembre 2005, quelques jours après qu´on lui eut attribué le prix Cervantès, illustrent on ne peut mieux la personnalité de cet écrivain mexicain, un homme plutôt modeste, mais, de son propre aveu, un brin excentrique. Son grand ami et compatriote, l´essayiste et critique littéraire Carlos Monsiváis a écrit un jour que chez Pitol l´intelligence, l´humour et la colère ont toujours été ses grands atouts et l´Espagnol Enrique Vila-Matas le tient pour un de ses maîtres. Toujours est-il que lorsque le lauréat du prix Cervantès 2005 fut annoncé, d´aucuns se sont étonnés que la consécration soit tombée sur un auteur, certes talentueux mais relativement discret.
Sergio Pitol est né en 1933 à Puebla et ses premières années se sont déroulées sous le signe de la tragédie. À l´âge de quatre ans, il perd sa mère, noyée dans une rivière. Deux ans après, une méningite emporte son père et sa sœur finit elle aussi par mourir de «désespérance». Le petit Sergio est alors élevé par sa grand-mère et ses tantes et c´est cloué au lit, à cause d´une grave maladie (malaria), qu´il se laisse séduire par les mots. La fantaisie, les voyages imaginaires et l´émerveillement qui en découle le poussent dans les bras de celle que l´on pourrait, à bon droit, surnommer sa première maîtresse, qu´il n´a d´ailleurs jamais quittée : la littérature.
Après des études de droit et de philosophie à Mexico, il suit une carrière diplomatique qui seule lui permet d´assouvir ses grandes passions : les livres et les voyages. De ses séjours - temporaires ou prolongés - dans nombre de villes européennes comme Rome, Barcelone, Bristol (où il a enseigné un temps), Paris, Varsovie, Budapest, Prague et Moscou, il nous rapporte dans ses livres les mouvances de leur vie culturelle et littéraire. Il nous fait partager de façon enjouée l´enthousiasme pour les écrivains et les lieux qu´ils chérissent. Sergio Pitol est d´ailleurs un remarquable traducteur, entre autres, de Conrad, James, Jane Austen, Pilniak et d´un de mes auteurs culte, le majestueux Witold Gombrowicz. Comme traducteur, il a également travaillé en Chine, dans les années soixante.
Mais en quoi consiste-t-elle, au fond, la magie de Pitol qui séduit tant de lecteurs ces derniers temps ? Il faut dire tout d´abord qu´en vérité, Pitol n´a longtemps été qu´un auteur-culte. Même au Mexique il était, il y a peu, relativement méconnu. Ceci peut s´expliquer, selon la plupart des observateurs, par le fait qu´il a vécu la majeure partie de sa vie à l´étranger, mais aussi parce que son œuvre fuit les thèmes traditionnels de la littérature mexicaine, à savoir l´identité nationale et la révolution trahie.
Quoiqu´il eût écrit quelques romans fort remarqués comme El tañido de una flauta (Le son d´une flûte), Domar a la divina garza (Mater la divine garce) ou La vida conyugal (La vie conjugale), c´est dans le conte que le talent de Pitol éclate au grand jour. Nocturno de Bujara (Nocturne de Bujara) en est probablement celui où il atteint le sommet de son art. Mais en général les contes de Pitol renvoient à la dimension onirique, des histoires où la réalité et la fiction se côtoient jusqu´à s´y confondre et où souvent le dénouement est laissé inachevé suscitant de multiples interprétations et invitant les lecteurs à donner libre cours à leur imagination et au déferlement de leurs rêves.
Mais Pitol est aussi un écrivain remarquablement innovateur dans ses essais, si tant est que l´on puisse coller cette étiquette à des livres comme El arte de la fuga (L´art de la fugue) ou El mago de Viena (Le mage de Vienne) qui constituent en fait un genre délicieusement hybride tenant de l´autobiographie (mais seulement dans la mesure où elle se projette vers l´extérieur pour acquérir une voix impersonnelle), du journal de bord et de l´essai littéraire, délivré pourtant de cette gangue académique un tant soit peu amidonnée qui tue le plaisir de la lecture.
Le secret de cet écrivain remarquable tient peut-être au fait que dans ses livres, il nous transmet - d´une façon parfois transfigurée - le témoignage de quelqu´un ébloui par l´inépuisable richesse du monde. Comme si son regard était parfois celui de l´ enfant, au sourire incomparable, qu´au bout de compte Sergio Pitol pour notre joie, n´a jamais cessé d´être… 


Aucun commentaire: