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Féru de littérature française et étrangère, ma plume sévit dans diverses colonnes de journaux, de sites internet pour partager ce goût qui m´anime. Que détracteurs ou admirateurs n´hésitent pas à réagir à mes chroniques.

mardi 28 mai 2019

Chronique de juin 2019.


Vivre sous l´Occupation.




Pendant l´Occupation de l´Europe par les troupes hitlériennes, les ressortissants des pays occupés n´ont pas tous réagi d´une manière courageuse et héroïque. C´est très réconfortant, voire romantique, de considérer qu´il y avait un résistant à chaque coin de rue, que les nazis étaient quotidiennement victimes d´embuscades tendues par les vaillants peuples opprimés. Certes, nombre d´entre eux ont sacrifié leur vie, ont lutté clandestinement contre les occupants, ont été sauvagement torturés et n´ont pas livré  leurs compagnons à l´ennemi. D´autres ont caché ceux qui étaient pourchassées, fussent-ils des Juifs, des communistes, des socialistes, des catholiques, bref des patriotes de toutes obédiences qui ne supportaient pas de voir leur pays anéanti sous la botte nazie. Quoi qu´il en soit, on n´ignore pas que si beaucoup de gens ont été passifs et n´ont pas rechigné devant les exactions des forces hitlériennes, d´autres sont encore allés plus loin en collaborant honteusement avec l´ennemi, flétrissant leur propre honneur.  
On connaît fort bien ce qui s´est passé en France sous l´égide du régime de Vichy: la rafle de Vel d´Hiv, en étant -entre autres épisodes sanglants et avilissants- une triste  illustration. De même, en ex-Yougoslavie avec les massacres perpétrés par les Oustachis croates à l´encontre des Serbes, des Tziganes ou des Juifs, ou encore en Roumanie avec le carnage des Juifs à Iasi, sans oublier, par exemple, le gouvernement pronazi de Vidkun Quisling en Norvège, tristement soutenu par le grand écrivain Knut Hamsun qui s´était vu décerner en 1920 le Prix Nobel de Littérature.
La Belgique a connu elle aussi son lot de collaborateurs. À l´issue de la seconde guerre mondiale, 80.000 Belges environ ont été jugés coupables de collaboration avec l´ennemi. Dès avant la guerre, Le Rex de León Degrelle et la Ligue Nationale Flamande (en néerlandais Vlaams Nationaal Verbond ou VNV) étaient des partis d´inspiration fasciste qui, pendant l´Occupation, ont collaboré avec l´ennemi.
J´évoque la Belgique puisque les éditions Stock ont publié en début d´année dans son excellente collection La Cosmopolite un très beau roman de l´écrivain belge d´expression néerlandaise Jeroen Olyslaegers intitulé Trouble (Wil dans l´édition originale). Dans la quatrième de couverture on nous donne un tuyau sur le sujet du roman, illustré par la phrase «Anvers 1940». Il s´agit donc d´une intrigue qui se déroule dans la deuxième ville belge –située en zone flamande-, la ville de Rubens et de Van Dyck pendant l´Occupation, la ville qui a connu un pogrom en 1941.
L´auteur, Jeroen Olyslaegers, est né en 1967 à Mortsel dans la province d´Anvers. Il écrit des pièces de théâtre et des romans. Avec Trouble, il a décroché deux importants prix en Belgique, le Fintro-le plus prestigieux des prix littéraires décernés en Belgique- et le Ferdinand Bordewijk.
Le narrateur est le personnage principal Wilfried Wils qui dans sa vieillesse, victime d´une fracture de la hanche, raconte son histoire, en guise de mémoires, à un arrière petit-fils. Si plusieurs choses le tourmentent au crépuscule de sa vie, comme les souvenirs de sa femme Yvette, déjà décédée, ou de sa petite- fille Helde qui s´est suicidée rongée para la came, c´est la période de la seconde guerre mondiale, et donc de l´Occupation, qui est naturellement au cœur de l´intrigue.
Wils est un flic poète –qui a écrit, sous son nom de plume Angelo, un poème intitulé «Confessions d´un comédien»-, tiraillé entre l´amitié avec son camarade de métier Lode (qui deviendra d´ailleurs son beau-frère), un farouche résistant, et Barbiche Teigneuse, son ancien professeur, anti -sémite  et collaborationniste. Le personnage est plein d´ambiguïtés, comme nombre de citoyens à l´époque à Anvers : «Chacun pour soi. Nous pillions à la bouche de l´enfer, nous vivions des temps tragiques et faisions comme si tout était normal» se souvient Wils qui devient « auxiliaire de police » quand l’occupation allemande en Belgique s´est amorcée, en 1940, afin d’échapper au travail obligatoire en Allemagne. Perçu comme un salaud, on ignore parfois de quel côté il penche. D´autres ne se faisaient même pas de souci et vivaient leur vie comme bon leur semblait. Sa tante Emma, sœur de sa mère, en est l´exemple frappant : travaillant comme domestique chez des juifs cossus, elle finit par devenir la maîtresse de Gregor, un officier nazi, elle qui avait déjà fricoté avec un banquier divorcé dans les années vingt sous les yeux bienveillants de ses parents (à la fin, elle nous réserve encore une surprise).
Les juifs étaient, cela va sans dire, une des cibles privilégiées des nazis et par extension des collabos. Outre l´étoile jaune cousue sur leur veste dès juin 1942, ils ont toujours été en proie au pire : l´humiliation, l´ignominie, les rafles et, à la fin, la déportation. La police belge, jouant parfois le rôle de faire-valoir face aux autorités allemandes qui occupaient le pays, agissait selon la conscience de chacun de ses agents. Les rafles sont particulièrement violentes : «Des portes sont enfoncées à coups de pied. Un père et une mère sont traînés au-dehors par des hommes du SD (Service de police militaire). Derrière eux apparaissaient les enfants en pleurs et deux vieux décrépits pouvant à peine marcher(…) Les gens hurlent et pleurent. Les cris des enfants transpercent le vacarme. Certains sont tirés dans la rue par les cheveux. Pendant ce temps-là, nous faisions toujours comme si nous agissions en simples flics. Nous fermons les rues et assurons la surveillance comme lors d´une compétition sportive. L´effet est grotesque (…) Certains se laissent emmener comme des zombies, jouant un rôle passif en pyjama dans leur propre cauchemar(…) Un homme vomit sur sa chaise tandis qu´il est traîné par deux Feldgendarmes. Une femme court derrière une mère et ses deux enfants en larmes avec un manteau supplémentaire. Huée par les Boches, elle reçoit une paire de gifles lorsqu´elle s´oppose en poussant les hauts cris. Comme elle refuse de céder, elle aussi est embarquée avec les juifs dans un camion. Le regard qu´elle nous lance est lourd de signification».  
Rongé par les problèmes de conscience qui taraudaient son esprit, Wils, qui hésitait à prendre part aux rafles et aux lynchages, se sentait impuissant : «Une pensée me traverse l´esprit comme un refrain lancinant : «Si ceci est possible, si tout ceci est possible, si des gens en uniforme peuvent rouer de coups de pied des enfants, assener à des femmes des coups de masse dans le visage, frapper des hommes jusqu´à les estropier, pour les pousser vers un camion de déménagement arborant un nom bien de chez nous, un nom flamand…Si tout cela est possible…Nous qui sommes là en tant que…quoi ? En tant qu´assistants dans un monde à l´envers où le blanc devient noir, lors d´une nuit éclairée comme un jour infernal, en tant qu´infirmiers prêtant main-forte à des médecins qui parlent allemand et qui combattent en uniforme un virus humain à coups de poing, de pied, de menaces et de vociférations, parmi les pleurs, les plaintes, la peur, répandant sang, merde et vomi dans la rue…Si tout cela est possible, tout ne devient –il pas possible ?Tout ne devient-il pas possible ?»
Dans ce roman, écrit dans une langue populaire mais lyrique, souvent drôle -les Belges, contrairement aux Français, ont un sacré talent pour se moquer d´eux-mêmes, tout à leur honneur !-, l´auteur brosse des portraits très impressionnants sur des figures importantes dans l´intrigue comme les personnages déjà cités Lode, le flic résistant qui cache le juif Chaim Lizke dans un sous-sol, Barbiche Teigneuse, le professeur idéologue, ou encore l´avocat Omer Verschueren.
Au moment de la parution de Trouble en Belgique et aux Pays-Bas, le quotidien néerlandais De Volkskrant a écrit que ce roman était la preuve qu´il était encore possible d´ajouter une œuvre majeure à l´écrasante quantité de livres déjà écrits sur la guerre. En effet, ce roman ne se présente pas comme un réquisitoire. Il met en exergue la vie des Belges sous les coups de boutoir de la dure réalité quotidienne pendant l´Occupation où parfois on essayait tout simplement de survivre. Comme partout, il y a eu des collabos, des résistants et les autres qui ont vécu sous des équilibres instables et plongés dans une permanente ambiguïté. À la fin de la guerre, on ne pouvait pas s´encombrer de questions sur la responsabilité de tout un chacun pendant l´Occupation. D´ailleurs, comment quelqu´un-pendant ou après la guerre- peut-il se racheter ? Par l´art ? Par la mort ? Wils ébauche une réponse, mais ces interrogations ne sauraient, à vrai dire, apporter de réponse: «…rien n´est sacré, tout est mouvant et rien n´est jamais vrai. La mort fige la vie d´un artiste, bien carré dans son œuvre désormais intouchable, ses penchants aussitôt légendaires et ce que ses amis disent de lui. La mort épargne la honte, les choix qu´on regrette ou pas. La mort est surtout avide de beauté lorsqu´elle s´abat sur un jeune poète. Celui qui vit trop longtemps a de fortes chances de finir aux yeux de tous comme un has been ou un salaud».   
Dans un entretien accordé en mars à Virginie Bloch-Lainé pour le quotidien français Libération, Jeroen Olyslaegers évoque la genèse de ce roman. Issu d´une famille de petits –bourgeois intellectuels épris d´arts, il a eu un grand-père engagé dans les Waffen –SS qui en parlait sans regrets. Il a fallu plusieurs années pour qu´il reconnaisse finalement, peu avant sa mort, son erreur colossale. Cette histoire familiale est en quelque sorte le point de départ du roman, mais ce qui en a vraiment déclenché l´écriture ce fut une rencontre avec l´historien Herman Van Goethem, de l´Université d´Anvers, qui l´a invité à lire et à commenter avec des étudiants le témoignage d´un policier sur la première rafle en ville, pendant la guerre, le 15 août 1942. Dans ce  témoignage, le policier raconte avoir pénétré dans une maison dont toute la famille juive s´était suicidée. Or, l´auteur s´est rendu compte que la maison était située dans la rue où il habitait. En en parlant avec sa mère, il a appris qu´une de ses tantes était la bonne de cette famille juive et après la tragédie elle y a habité avec son amant, un officier SS…
Paru en janvier, Trouble est assurément un des meilleurs romans publiés en France dans  la rentrée d´hiver  2019 et Jeroen Olyslaegers décidément un écrivain à suivre.

 Jeroen Olyslaegers, Trouble, traduit du néerlandais (Belgique) par Françoise Antoine, éditions Stock, Paris, janvier 2019.

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Obrigaste-me a ler tudo. Fantástico o teu texto, e fantástico deve ser o romance. A ler.

Fernando Couto e Santos a dit…

Obrigado pelo teu comentário, Manuel!

Abraço!

Fernando