Jean Daniel, une référence du journalisme français et mondial, est mort hier à l´âge de 99 ans.
Fondateur du magazine Le Nouvel Observateur, Jean Daniel était aussi un remarquable écrivain. En guise d´hommage, je reproduis ici un article que j´ai écrit en juillet 2006 pour le site de La Nouvelle Librairie Française de Lisbonne après la parution en édition de poche (collection Folio chez Gallimard) de son livre d´entretiens avec Martine de Rabaudy:
Jean Daniel: l´honneur de son métier.
«J´ai
pris le journalisme au sérieux : c´est pour moi le seul genre auquel
convienne l´expression de «littérature engagée». La valeur de l´engagement
m´importe ici au même titre que la valeur littéraire : je ne les sépare
pas...». Ce n´est pas par hasard que cette phrase extraite du tome IX des
oeuvres complètes de François Mauriac se retrouve en épigraphe du livre
regroupant des entretiens de Jean Daniel avec Martine de Rabaudy, publié en
octobre 2004, chez Grasset et repris, en poche, dans la collection folio de
Gallimard, en avril dernier. C´est que cette phrase-là illustre on ne peut
mieux le trajet intellectuel de Jean Daniel depuis plus de soixante ans.
Né le 21 juillet
1920, à Blida (Algérie), au sein d´une famille française aux racines juives,
mais de tradition laïque, Jean Daniel est une figure de proue de la vie
intellectuelle française. Dans les années cinquante, il était un des piliers de
L´Express, hebdomadaire politique et littéraire qui dominait la presse
d´opinion française et qui pouvait se piquer de compter dans ses rangs les
meilleures plumes de France, dont François Mauriac et Albert Camus qui allaient
se voir attribuer le prix Nobel, au cours de la décennie, avec un écart de cinq
ans entre les deux. En 1963, Jean Daniel, relevant le défi de l´industriel
Claude Perdriel, fondait Le Nouvel Observateur, héritier du France-Observateur,
journal autrefois important, surtout au moment de la guerre d´Algérie, mais
dont les ventes avaient brusquement chuté, en un laps de temps assez réduit, de
cent mille à dix-huit mille exemplaires. Le nouvel hebdomadaire allait
inaugurer un nouveau style de journalisme, minutieux, rigoureux, pluraliste,
mais fidèle à la tradition française du journalisme d´opinion et de combat.
Ouvert à tous les courants, mais oeuvrant pour une gauche moderne, dépoussiérée
des vieilles lubies totalitaires. Les éditoriaux, un rituel auquel Jean Daniel
reste fidèle même après avoir abandonné la direction du journal, sont devenus
des classiques du journalisme politique français. Mona Ozouf, une des
collaboratrices de l´hebdomadaire, a écrit un jour : «Jean, c´est l´édito
et l´édito c´est Jean» et Bernard-Henri Lévy, à un moment donné, a surnommé
Jean Daniel «le Gaston Gallimard du journalisme français».
Dans
ce livre d´entretiens avec Martine de Rabaudy, Jean Daniel nous invite à une
aventure passionnante : à travers son regard, lucide et percutant, ses
choix esthétiques et ses engagements, nous avons rendez-vous, en plusieurs
chapitres, avec un demi-siècle de vie politique et intellectuelle française et
internationale. Jean Daniel nous parle de son enfance algérienne, de la judéité
(qui avait déjà fait l´objet d´un livre récent, Prison juive), du
conflit israélo-palestinien (il a souvent mis sa plume au service de la paix
entre les deux peuples), du pouvoir, des livres nombreux qu´il a écrits, de
l´amour, des femmes de sa vie ou de la découverte du Journal de Gide
dans son adolescence. Mais, surtout, il évoque les figures du milieu
intellectuel et politique français qu´il a côtoyées : Jean-Paul Sartre,
compagnon de route pendant un temps, malgré les divergences qui les opposaient,
Pierre Mendès France et François Mitterrand, Jean-Jacques Servan Schreiber,
ancien propriétaire de L´Express , qui l´a, un jour, viré, ouvrant, ainsi, la
voie à son aventure de la fondation du « Nouvel Obs», François Mauriac, André
Malraux, Raymond Aron et surtout Albert Camus. On sait que l´évocation de la
figure d´Albert Camus, né comme lui en Algérie, est récurrente dans les écrits
de Daniel, notamment dans ses magnifiques Carnets . L´admiration que
Jean Daniel lui portait était, d´ailleurs, réciproque, malgré la rupture entre
eux au moment où a éclaté la guerre d´Algérie. La mort prématurée et brutale de
Camus, en 1960, à l´âge de quarante-six ans, a interrompu un parcours
intellectuel et civique qui s´annonçait brillant et ceci a suscité une question
intéressante de Martine de Rabaudy : «Si Camus avait vécu, qu´en aurait-il
été de vous, de Sartre et de l´Observateur ?», à laquelle Daniel a
répondu de la sorte : «Si Camus n´était pas mort ? Sartre serait
resté son ennemi. Je n´aurais eu qu´un but : me rapprocher de lui (...)
Pour le premier numéro de l´Observateur, j´aurais fait appel à lui et non à
Sartre. Et je me serais employé à les réconcilier. En vain à cause de leurs
entourages. Deux chevaliers se traitent toujours avec respect mais leurs
entourages déchaînés, le couteau entre les dents, s´opposent toujours à la
paix. Là, je refais l´histoire, entreprise risquée et incertaine...». La
lecture de ce livre ne sera sûrement pas, quant à elle, une entreprise risquée.
Ce sera, nous vous l´assurons, une énorme partie de plaisir...
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