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Féru de littérature française et étrangère, ma plume sévit dans diverses colonnes de journaux, de sites internet pour partager ce goût qui m´anime. Que détracteurs ou admirateurs n´hésitent pas à réagir à mes chroniques.

mercredi 29 juin 2022

Chronique de juillet 2022.

 


La vie et les livres selon Maurice Pons.

«J´ai beaucoup de mal à parler de ma vie et de mes livres. Parce que ma vie se confond avec mes livres et que dans mes livres –quand je parle de moi –je confonds résolument ce que j´ai vécu et ce que j´ai rêvé et imaginé». Ces paroles ont été proférées un jour par l´écrivain français Maurice Pons, décédé il y a six ans (le 8 juin 2016) à Andé dans le département de l´Eure, en Normandie, où il vivait depuis 1957 –dans un moulin –après avoir abandonné la vie parisienne.

Né le 14 septembre 1927 à Strasbourg, Maurice Pons a d´abord suivi des études de philosophie qu´il s´est pourtant empressé d´abandonner pour se consacrer exclusivement à la littérature. En 1951, il a publié aux éditions Julliard sa première nouvelle Métrobate, puis une deuxième, La mort d´Éros, en 1953. Toujours chez Julliard, il a fait paraître en 1955 un recueil de récits Les Virginales qui a connu un certain succès auprès de la critique –Grand Prix de la Nouvelle -et a inspiré à François Truffaut le film Les Mistons. Dans La Nouvelle Revue Française, François Nourrissier ne cachait nullement son enthousiasme pour ce livre qui renvoie à l´univers magique de l´enfance et d´éveil à la vie d´un jeune garçon : «Ces Virginales ont pour commune matière l´inconscient éveil des sens, l´innocence de la dixième année, l´univers des signes, des illusions et des lois de l´enfance lorsqu´elle se risque aux jeux interdits. L´amour, la mort, les mots, la forme et le sens des objets usuels se chargent de mystère. Une vie parallèle, fabulatrice, merveilleuse, s´épanouit en marge de la vie adulte. L´enfance étant naturellement impudique, curieuse des corps, ses joies et ses jeux abondent en façons animales, en ébauches sensuelles à peine devinées, toujours insatisfaites. Traduit dans le langage des grandes personnes, ces émotions passeraient pour perverses. L´habileté de Maurice Pons est d´avoir découvert un langage qui emprunte à l´enfance à la fois ses magies et ses audaces mais qui demeure pourtant un langage du monde adulte». Dans l´avant-propos de la réédition  de 1983 chez Christian Bourgois, Maurice Pons évoque le moment où il avait eu l´intuition qu´il deviendrait écrivain: «Valery Larbaud avait publié ses Enfantines ; je publierai un jour mes Virginales» et il se remémore les moments où les récits des Virginales s´ébauchaient dans son esprit à la bibliothèque de la Sorbonne, sous la calme lumière des lampes opalines. Il s´évadait du réel : «J´étais loin de la Sorbonne et du temps présent, qui ne m´atteignait pas, et sur lequel je n´avais aucune prise. Il me semble aujourd´hui que je vivais –si je puis dire –replié dans une solitude et un désenchantement extrêmes. Je laissais mon esprit divaguer de longues heures vers les terrains vagues, les ruelles obscures ou les prairies ensoleillées de mon enfance».

Tout en se consacrant à la littérature, Maurice Pons fut aussi comédien amateur et journaliste avant de se retirer, comme je l´ai déjà écrit plus haut, au moulin d´Andé. Cette nouvelle vie de Maurice Pons ne l´a pas empêché de continuer à écrire et à publier des fictions où l´originalité lui a procuré un nombre croissant d´admirateurs. Elle ne l´a pas privé non plus de prendre position contre la guerre d´Algérie. Aussi a-t-il fait partie des signataires du Manifeste des 121 titré «Déclaration sur le droit à l´insoumission dans la guerre d´Algérie». Ce manifeste fut signé par des intellectuels, des universitaires et des artistes et publié le 6 septembre 1960 dans le magazine Vérité-Liberté. Le manifeste se terminait sur trois propositions finales : «Nous respectons et jugeons justifié le refus de prendre les armes contre le peuple algérien» ; «Nous respectons et jugeons justifiée la conduite des Français qui estiment de leur devoir d´apporter aide et protection aux Algériens opprimés au nom du peuple français» et «La cause du peuple algérien qui contribue de façon décisive à ruiner le système colonial est la cause de tous les hommes libres». Outre Maurice Pons, comptent parmi les signataires Denys Mascolo, Robert Antelme, Maurice Blanchot, André Breton, Guy Debord, Simone de Beauvoir, Michel Butor, Pierre Boulez, Claude Lanzmann, Alain Resnais ou Jean-Paul Sartre, par exemple.

Cette même année,1960, l´engagement de Maurice Pons contre la guerre d´Algérie l´a fait écrire un roman, Le passager de la nuit (éditions Julliard), en hommage aux porteurs de valises, ces hommes et ces femmes transportant des fonds pour le compte du FLN (Front de Libération Nationale). Trente ans plus tard, Maurice Pons se réjouissait  de la reparution de son roman (aux éditions Rocher, plus récemment dans la collection Signatures de Points) et de la fraîcheur qu´il avait conservée. Il ne souscrivait pas aux paroles de Sartre qui assurait que les écrivains d´âge mûr n´aimaient pas qu´on les félicitât de leurs premières œuvres puisque leur meilleur livre était toujours celui qu´ils étaient en train d´écrire : «Pour moi, au contraire, qui écrit aussi peu –c´est le moins qu´on puisse dire !-rien ne me semble plus réconfortant que de voir  mes ouvrages de jeunesse appréciés et réédités, un à un, année après année. C´est ma façon à moi de ne pas vieillir, de retrouver la fervente espérance du débutant que, comme tout écrivain, j´ai dû bien commencer par être. C´est ma façon aussi de m´inscrire en faux contre la tendance éditoriale d´aujourd´hui, qui vise à diffuser les livres un peu comme les yaourts, avec la rituelle et pressante recommandation au lecteur : « À consommer dans les six semaines »».  

En 1965, paraît chez Julliard (repris en 1975 par Christian Bourgois) le roman qui est devenu une sorte de «livre-culte» de l´auteur : Les Saisons. Depuis plus de cinquante ans, les lecteurs des Saisons constituent une sorte de confrérie d´initiés qui partagent un même univers, le même langage, les mêmes images de référence. Quelqu´un a écrit qu´ils se reconnaissent entre eux  un peu comme les lecteurs de Malcolm Lowry ou de Julio Cortázar bien que l´on rapproche aussi le roman de Kafka par son étrangeté. Le roman reprend et développe une histoire déjà racontée dans le conte La Vallée, paru en 1960 dans la revue Les Lettres Nouvelles et republié en 1993 par Le Monde Diplomatique. Le roman Les Saisons raconte l´histoire d´un écrivain, Siméon, qui trouve refuge dans une vallée perdue où se succèdent inlassablement deux saisons, une de pluie et une de gel bleu, où seules les lentilles parviennent à germer. Siméon cherche à prendre place dans la communauté hors du temps qui vit dans la vallée. Isolé au milieu de ces habitants taciturnes, il doit s´affronter à une hostilité grandissante. Il est l´autre absolu, une sorte de paria. Ayant l´ambition d´écrire un livre qui raconterait sa vie, Siméon voit son projet se heurter non seulement à la haine des habitants, mais aussi au climat insupportable des saisons et à une blessure qui fait pourrir son pied de jour en jour. Lors de la dernière parution de ce roman, dans la collection Titres, toujours chez Christian Bourgois, Julien Coquet met en exergue l´étrangeté du roman et la fascination qu´il exerce sur les lecteurs : «Au fil de ce texte d´une grande détresse, Maurice Pons décrit un paysage lunaire, un climat aride, des mœurs étranges, des autochtones repoussants. Si la laideur imprègne tout le roman, la beauté de l´écriture fait pourtant ressortir une poésie qui se cachait sous tous ces détritus. Ce que je dois écrire n´est pas beau en soi, je puis bien vous l´avouer, ce sont des horreurs que je dois décrire, des horreurs et des souffrances surhumaines –comme par exemple la mort de ma sœur Enina- et c´est à travers cette horreur que je dois atteindre la beauté, une beauté qui purifiera le monde, qui en fera sortir tout le pus, mot à mot, goutte à goutte, comme d´une burette à huile».

Le Cordonnier Aristote, Rosa, La Maison des brasseurs, Le Festin de Sébastien, Délicieuses Frayeurs, Mademoiselle B, Douce –Amère (Grand Prix de la nouvelle de l´Académie Française, 1985) sont d´autres titres importants d´ une œuvre exigeante et singulière d´un auteur qui fut aussi traducteur (de Tennessee Williams, Norman Mailer, Jerzy Kosinski, entre autres) et dialoguiste/ scénariste pour le cinéma.

Dans l´œuvre de Maurice Pons, outre son étrangeté qui déboussole délicieusement le lecteur, il y a avant tout un style, comme on pouvait lire un jour dans un article du magazine Marianne quelques années avant sa mort : «Dans l´univers de Pons, le présent est un avatar, les noms changent, les visages sont floutés. Derrière une apparence de logique, le monde reste abstrait. On n´est sûr de rien du tout, sinon de mourir un jour. Aujourd´hui ! Énorme angoisse à laquelle s´ajoute celle d´écrire, raison pour laquelle Maurice le fait si peu. Et, à l´intérieur de ce chaos mental ténébreux, la grâce infinie du style. Substantifs pleins, adjectifs déliés. On se régale à ce festin morbide. Pons aura été l´un des écrivains les plus doucement bouleversants du XXème. Au XXIème siècle, il continue».    

   

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