La vie et les livres selon Maurice Pons.
«J´ai beaucoup de mal à parler de ma vie et de mes livres. Parce que ma vie
se confond avec mes livres et que dans mes livres –quand je parle de moi –je
confonds résolument ce que j´ai vécu et ce que j´ai rêvé et imaginé». Ces
paroles ont été proférées un jour par l´écrivain français Maurice Pons, décédé
il y a six ans (le 8 juin 2016) à Andé dans le département de l´Eure, en
Normandie, où il vivait depuis 1957 –dans un moulin –après avoir abandonné la
vie parisienne.
Né le 14 septembre 1927 à Strasbourg, Maurice Pons a d´abord suivi des
études de philosophie qu´il s´est pourtant empressé d´abandonner pour se
consacrer exclusivement à la littérature. En 1951, il a publié aux éditions
Julliard sa première nouvelle Métrobate, puis une deuxième, La mort d´Éros, en
1953. Toujours chez Julliard, il a fait paraître en 1955 un recueil de récits
Les Virginales qui a connu un certain succès auprès de la critique –Grand Prix
de la Nouvelle -et a inspiré à François Truffaut le film Les Mistons. Dans La
Nouvelle Revue Française, François Nourrissier ne cachait nullement son
enthousiasme pour ce livre qui renvoie à l´univers magique de l´enfance et
d´éveil à la vie d´un jeune garçon : «Ces Virginales ont pour commune
matière l´inconscient éveil des sens, l´innocence de la dixième année,
l´univers des signes, des illusions et des lois de l´enfance lorsqu´elle se
risque aux jeux interdits. L´amour, la mort, les mots, la forme et le sens des
objets usuels se chargent de mystère. Une vie parallèle, fabulatrice,
merveilleuse, s´épanouit en marge de la vie adulte. L´enfance étant
naturellement impudique, curieuse des corps, ses joies et ses jeux abondent en
façons animales, en ébauches sensuelles à peine devinées, toujours
insatisfaites. Traduit dans le langage des grandes personnes, ces émotions
passeraient pour perverses. L´habileté de Maurice Pons est d´avoir découvert un
langage qui emprunte à l´enfance à la fois ses magies et ses audaces mais qui
demeure pourtant un langage du monde adulte». Dans l´avant-propos de la
réédition de 1983 chez Christian
Bourgois, Maurice Pons évoque le moment où il avait eu l´intuition qu´il
deviendrait écrivain: «Valery Larbaud avait publié ses Enfantines ; je
publierai un jour mes Virginales» et il se remémore les moments où les récits
des Virginales s´ébauchaient dans son esprit à la bibliothèque de la
Sorbonne, sous la calme lumière des lampes opalines. Il s´évadait du
réel : «J´étais loin de la Sorbonne et du temps présent, qui ne
m´atteignait pas, et sur lequel je n´avais aucune prise. Il me semble
aujourd´hui que je vivais –si je puis dire –replié dans une solitude et un
désenchantement extrêmes. Je laissais mon esprit divaguer de longues heures
vers les terrains vagues, les ruelles obscures ou les prairies ensoleillées de
mon enfance».
Tout en se consacrant à la littérature, Maurice Pons fut aussi comédien
amateur et journaliste avant de se retirer, comme je l´ai déjà écrit plus haut,
au moulin d´Andé. Cette nouvelle vie de Maurice Pons ne l´a pas empêché de
continuer à écrire et à publier des fictions où l´originalité lui a procuré un
nombre croissant d´admirateurs. Elle ne l´a pas privé non plus de prendre
position contre la guerre d´Algérie. Aussi a-t-il fait partie des signataires
du Manifeste des 121 titré «Déclaration sur le droit à l´insoumission dans la
guerre d´Algérie». Ce manifeste fut signé par des intellectuels, des
universitaires et des artistes et publié le 6 septembre 1960 dans le magazine
Vérité-Liberté. Le manifeste se terminait sur trois propositions finales :
«Nous respectons et jugeons justifié le refus de prendre les armes contre le
peuple algérien» ; «Nous respectons et jugeons justifiée la conduite des
Français qui estiment de leur devoir d´apporter aide et protection aux
Algériens opprimés au nom du peuple français» et «La cause du peuple algérien
qui contribue de façon décisive à ruiner le système colonial est la cause de
tous les hommes libres». Outre Maurice Pons, comptent parmi les signataires
Denys Mascolo, Robert Antelme, Maurice Blanchot, André Breton, Guy Debord,
Simone de Beauvoir, Michel Butor, Pierre Boulez, Claude Lanzmann, Alain Resnais
ou Jean-Paul Sartre, par exemple.
Cette même année,1960, l´engagement de Maurice Pons contre la guerre
d´Algérie l´a fait écrire un roman, Le passager de la nuit (éditions Julliard),
en hommage aux porteurs de valises, ces hommes et ces femmes transportant des
fonds pour le compte du FLN (Front de Libération Nationale). Trente ans plus
tard, Maurice Pons se réjouissait de la
reparution de son roman (aux éditions Rocher, plus récemment dans la collection
Signatures de Points) et de la fraîcheur qu´il avait conservée. Il ne
souscrivait pas aux paroles de Sartre qui assurait que les écrivains d´âge mûr
n´aimaient pas qu´on les félicitât de leurs premières œuvres puisque leur meilleur
livre était toujours celui qu´ils étaient en train d´écrire : «Pour moi,
au contraire, qui écrit aussi peu –c´est le moins qu´on puisse dire !-rien
ne me semble plus réconfortant que de voir
mes ouvrages de jeunesse appréciés et réédités, un à un, année après
année. C´est ma façon à moi de ne pas vieillir, de retrouver la fervente
espérance du débutant que, comme tout écrivain, j´ai dû bien commencer par
être. C´est ma façon aussi de m´inscrire en faux contre la tendance éditoriale
d´aujourd´hui, qui vise à diffuser les livres un peu comme les yaourts, avec la
rituelle et pressante recommandation au lecteur : « À consommer
dans les six semaines »».
En 1965, paraît chez Julliard (repris en 1975 par Christian Bourgois) le
roman qui est devenu une sorte de «livre-culte» de l´auteur : Les Saisons.
Depuis plus de cinquante ans, les lecteurs des Saisons constituent une sorte de
confrérie d´initiés qui partagent un même univers, le même langage, les mêmes
images de référence. Quelqu´un a écrit qu´ils se reconnaissent entre eux un peu comme les lecteurs de Malcolm Lowry ou
de Julio Cortázar bien que l´on rapproche aussi le roman de Kafka par son
étrangeté. Le roman reprend et développe une histoire déjà racontée dans le
conte La Vallée, paru en 1960 dans la revue Les Lettres Nouvelles et republié
en 1993 par Le Monde Diplomatique. Le roman Les Saisons raconte l´histoire d´un
écrivain, Siméon, qui trouve refuge dans une vallée perdue où se succèdent
inlassablement deux saisons, une de pluie et une de gel bleu, où seules les
lentilles parviennent à germer. Siméon cherche à prendre place dans la
communauté hors du temps qui vit dans la vallée. Isolé au milieu de ces
habitants taciturnes, il doit s´affronter à une hostilité grandissante. Il est
l´autre absolu, une sorte de paria. Ayant l´ambition d´écrire un livre qui
raconterait sa vie, Siméon voit son projet se heurter non seulement à la haine
des habitants, mais aussi au climat insupportable des saisons et à une blessure
qui fait pourrir son pied de jour en jour. Lors de la dernière parution de ce
roman, dans la collection Titres, toujours chez Christian Bourgois, Julien
Coquet met en exergue l´étrangeté du roman et la fascination qu´il exerce sur
les lecteurs : «Au fil de ce texte d´une grande détresse, Maurice Pons
décrit un paysage lunaire, un climat aride, des mœurs étranges, des autochtones
repoussants. Si la laideur imprègne tout le roman, la beauté de l´écriture fait
pourtant ressortir une poésie qui se cachait sous tous ces détritus. Ce que je
dois écrire n´est pas beau en soi, je puis bien vous l´avouer, ce sont des
horreurs que je dois décrire, des horreurs et des souffrances surhumaines
–comme par exemple la mort de ma sœur Enina- et c´est à travers cette horreur
que je dois atteindre la beauté, une beauté qui purifiera le monde, qui en fera
sortir tout le pus, mot à mot, goutte à goutte, comme d´une burette à huile».
Le Cordonnier Aristote, Rosa, La Maison des brasseurs, Le Festin de
Sébastien, Délicieuses Frayeurs, Mademoiselle B, Douce –Amère (Grand Prix de la
nouvelle de l´Académie Française, 1985) sont d´autres titres importants d´ une
œuvre exigeante et singulière d´un auteur qui fut aussi traducteur (de
Tennessee Williams, Norman Mailer, Jerzy Kosinski, entre autres) et
dialoguiste/ scénariste pour le cinéma.
Dans l´œuvre de Maurice Pons, outre son étrangeté qui déboussole
délicieusement le lecteur, il y a avant tout un style, comme on pouvait lire un
jour dans un article du magazine Marianne quelques années avant sa mort :
«Dans l´univers de Pons, le présent est un avatar, les noms changent, les
visages sont floutés. Derrière une apparence de logique, le monde reste
abstrait. On n´est sûr de rien du tout, sinon de mourir un jour.
Aujourd´hui ! Énorme angoisse à laquelle s´ajoute celle d´écrire, raison
pour laquelle Maurice le fait si peu. Et, à l´intérieur de ce chaos mental
ténébreux, la grâce infinie du style. Substantifs pleins, adjectifs déliés. On
se régale à ce festin morbide. Pons aura été l´un des écrivains les plus
doucement bouleversants du XXème. Au XXIème siècle, il continue».
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