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Féru de littérature française et étrangère, ma plume sévit dans diverses colonnes de journaux, de sites internet pour partager ce goût qui m´anime. Que détracteurs ou admirateurs n´hésitent pas à réagir à mes chroniques.

jeudi 26 février 2015

Chronique de mars 2015









Michel Houellebecq : un mécontemporain ?


Quelqu´un me disait l´autre jour (une femme, par ailleurs) : «En plus, il a un air si dégueulasse !»Décidément, Michel Houellebecq ne laisse personne indifférent. Tout sert à tirer à boulets rouges sur l´écrivain français le plus médiatique, les raisons les plus anodines ne manquant pas : son faciès, ses cheveux en bataille, son air un tant soit peu emprunté voire misanthrope (sous le regard d´autrui), enfin sa discrétion.
Michel Houellebecq, de son vrai nom Michel Thomas, né le 26 février 1956 à l´île de Réunion, défraie toujours la chronique à la sortie de chacun de ses livres, au moins depuis Les Particules élémentaires en 1998. Ce deuxième roman de l´auteur-après L´extension du domaine de la lutte, paru en 1994-puis Plateforme, le troisième, publié en 2001, sont considérés comme précurseurs en ce sens qu´ils décrivent la misère affective et sexuelle de l´homme occidental. Ces livres ont déclenché une vive polémique déchirant le milieu littéraire français entre défenseurs acharnés et détracteurs virulents de Michel Houellebecq, devenu en quelques années un des écrivains français contemporains les plus traduits de par le monde. Si La possibilité d´une île (2005)-qui aborde le clonage-a accentué les déchirements autour de l´auteur, La carte et le territoire(2010), couronné du prix Goncourt, a provoqué quand même moins de remous que les romans précédents. Les sujets de ce roman sont l´art, l´argent, l´amour, le rapport au père, la mort, le travail et l´image d´une France devenue un paradis touristique. La polémique autour de ce livre a plutôt gravité autour de questions accessoires comme les protestations de l´écrivain Michel Lévy qui se plaignait d´avoir lui-même auto -édité en 1999 un livre portant le même titre ou encore le côté à tout le moins extravagant d´un pastiche, La tarte et le Suppositoire, paru en 2011 aux éditions De Fallois, prétendu prix «Concours» par Michel Ouellebeurre.    
Le dernier roman de Michel Houellebecq avait déjà provoqué un tollé-surtout parmi ceux qui ne l´ont pas lu- même avant de paraître le 7 janvier. Quelques jours plus tôt, il avait déjà été piraté sur le Net et, le jour de sa parution, la France fut secouée par l´attentat meurtrier perpétré par deux frères radicaux islamistes contre l´hebdomadaire satirique Charlie Hebdo. Dans ce massacre, dans les locaux du journal, ont péri onze personnes entre journalistes, garde du corps, policiers et autres fonctionnaires dont Bernard Maris(1), économiste, chroniqueur et surtout grand ami de Michel Houellebecq qui, visiblement ému, a décidé en accord avec Flammarion, son éditeur, de suspendre toute activité de promotion de son nouveau roman. Cela relève d´une triste ironie si l´on en juge par le sujet de ce roman intitulé Soumission.
Ce roman, relevant de la politique –fiction, éventuellement du roman à thèse, raconte l´histoire de François-peut-être le nom choisi n´est-il pas le fruit du hasard-un professeur universitaire français enseignant à la Sorbonne, donc à Paris,  qui s´est taillé une réputation de sérieux et de compétence après avoir soutenu une thèse sur l´œuvre de l´écrivain décadentiste français Joris-Karl Huysmans, un misanthrope comme François semble l´être en quelque sorte. Il mène une vie sexuelle déréglée, pleine de rencontres fortuites ou de relations fragiles et temporelles avec de jeunes femmes, souvent des élèves. Sa vie commence à basculer en 2022 en raison du grand chambardement politique en France : le second tour de l´élection présidentielle se joue entre Marine Le Pen, candidate du Front National, et Mohammed  Ben Abbes, leader du mouvement islamiste Fraternité Musulmane. Le consensus républicain est d´abord fracassé et les socialistes soutiennent le candidat islamiste au second tour pour empêcher une victoire de l´extrême-droite. À la veille de l´élection, on sent que les choses sont en train de changer, mais le plus étrange est que l´inquiétude qui gagnait d´ordinaire les esprits quand on évoquait la perspective d´une victoire d´un candidat islamiste n´a plus cours. Un Front républicain élargi se constitue et se matérialise-en concomitance avec le ralliement à la candidature de Ben Abbes-dans un accord de gouvernement passé entre le PS, l´UMP et l´UDI avec la promesse, de la part du candidat de Fraternité Musulmane, de nomination de François Bayrou au poste de premier-ministre. L´implosion du système se fait donc sans vraie révolution. La panique ne touche que les Juifs dont un nombre important décide de partir en Israël comme les parents de Miriam, avec qui François couche. Miriam accompagne à contrecœur sa famille dans ce départ et son souvenir s´estompe de proche en proche dans l´esprit de François.
On pressent que des changements se mettront en place un peu partout et c´est ce qui se produit effectivement : les universités s´islamisent, les professeurs devant se convertir à l´islam pour pouvoir continuer à enseigner;  les femmes doivent s´habiller de manière discrète ; la polygamie est légalisée. L´islamisation en douceur de la France fait affluer au pays les pétrodollars des monarchies du Golfe, le chômage chute et le pays est pacifié. Tout le vieux continent est d´ailleurs en train de s´islamiser, le cas le plus curieux étant celui de la Belgique. Lisez attentivement cet extrait : « Tout récemment, le Parti musulman de Belgique venait d´accéder au pouvoir. L´événement était en général considéré comme important, au point de vue de l´équilibre politique européen. Bien sûr, des partis musulmans nationaux appartenaient déjà à des coalitions de gouvernement en Angleterre, en Hollande et en Allemagne ; mais la Belgique était le deuxième pays, après la France, où le parti musulman se retrouvait en position majoritaire. Cet échec sanglant des droites européennes avait dans le cas de la Belgique une explication simple : alors que les partis nationalistes flamand et wallon, de loin les premières formations politiques dans leurs régions respectives, n´avaient jamais réussi à s´entendre ni même à engager véritablement un dialogue, les partis musulmans flamand et wallon, sur la base d´une religion commune, étaient très facilement parvenus à un accord de gouvernement»(2). Donc, la religion avait pu rassembler ce que la langue avait toujours divisé.
Sous l´impulsion de Robert Rediger, un intellectuel converti à l´islam qui avait naguère appartenu à la mouvance identitaire mais qui était vierge de toute accointance avec les fractions néo-fascistes, les musulmans mènent aussi le combat au niveau des idées. Dans un article paru dans la Revue d´études traditionnelles, Rediger met l´accent sur l´universalité du message islamique et rappelle que le communisme, en dépit de son échec, avait été la première tentative de lutte contre l´individualisme libéral, rien que pour souligner que Trotski, au bout du compte, avait eu raison contre Staline puisque le communisme n´aurait pu triompher qu´à la condition d´être mondial. Par contre, l´Église catholique n´étant plus en mesure de s´opposer à la décadence des mœurs, c´est à l´islam de reprendre le flambeau et rejeter le mariage homosexuel, le droit à l´avortement et le travail des femmes parce que« parvenue à un degré de décomposition répugnant, l´Europe occidentale n´était plus en état de se sauver elle-même-pas davantage que ne l´avait été la Rome antique au Vème siècle de notre ère. L´arrivée massive de populations immigrées empreintes d´une culture traditionnelle encore marquée par les hiérarchies naturelles, la soumission de la femme et le respect dû aux anciens constituait une chance historique pour le réarmement moral et familial de l´Europe, ouvrait la perspective d´un nouvel âge d´or pour le vieux continent. Ces populations étaient parfois chrétiennes ; mais elles étaient le plus souvent, il fallait le reconnaître, musulmanes»(3).
François fréquente de plus en plus Robert Rediger et sa conversion à l´islam est donc de plus en plus à l´ordre du jour…
Ne partageant pas à proprement parler l´enthousiasme de l´écrivain Emmanuel Carrère qui place Soumission au niveau de 1984 de George Orwell ou du Meilleur des Mondes (Brave New World) d´Aldous Huxley, je considère quand même ce dernier ouvrage de Michel Houellebecq comme un de ses meilleurs romans et un livre, comme certains l´ont déjà écrit, qui formule les interrogations que se pose cette époque où l´on vit. Un livre où il est aussi question en filigrane du déclin de l´Occident, de la nostalgie d´un certain ordre moral, parfois aux accents caricaturaux et satiriques. D´aucuns n´y vont pas de main morte en déclenchant des philippiques-parfois en le traînant carrément dans la boue- contre un livre qui prête indiscutablement à polémique. Les prétextes les plus divers sont invoqués : l´absence de style ou style plat, le manque de crédibilité et l´islamophobie. Je me garde ici de disserter sur les questions purement stylistiques, un sujet pour un autre débat, mais quant au manque de crédibilité  j´ai lu là-dessus les opinions les plus extravagantes, certains observateurs allant jusqu´à affirmer que la fiction d´Houellebecq n´était nullement vraisemblable puisque la polygamie et l´islamisation de la société française décrites dans le roman seraient contraires à la Constitution française et que le Conseil Constitutionnel aurait mis le holà aux intentions du président islamiste. Sait-on ce qu´est une fiction ? Ignore-t-on qu´un roman n´est pas tenu de suivre les mêmes critères de la soi-disant vraisemblance qu´un essai de théorie politique ou sociologique ?
Contrairement à une autre idée fort répandue, le roman à mon avis ne verse pas non plus dans l´islamophobie. Est-il d´ailleurs interdit d´écrire un livre contre certaines pratiques ou caractéristiques de l´islam sans se voir affubler de l´épithète d´islamophobe ? Certes, Houellebecq, un provocateur sans doute, a dit un jour que l´islam était la religion la plus con qui soit et cela a naturellement ulcéré les musulmans. Pourtant, pourquoi, y a–t-il une levée de boucliers de la part d´un certain islam et des relativistes culturels à chaque fois que l´on se prononce contre l´islam (ce qui n´est pas nécessairement le cas du roman d´Houellebecq) ? Ne se prononce-t-on pas d´ordinaire contre d´autres religions ? Le seul amalgame que l´on ne puisse tolérer –et cela c´est l´argumentaire raciste et ordurier du Front National qui le fait –c´est l´association entre les croyants musulmans qui vivent et pratiquent paisiblement leur foi et les islamistes radicaux. Cela est en effet inadmissible et les extrémistes de droite qui nourrissent ce discours xénophobe font, on le sait, le jeu des intégristes islamiques. Ceux-ci d´ailleurs gagnent du terrain parmi les jeunes musulmans souvent exclus, il suffit de voir le refus d´observer une minute de silence pour les victimes du Charles Hebdo et ceci est indiscutablement inquiétant et préfigure peut-être l´échec du système scolaire français et des politiques d´intégration. Quoi qu´il en soit, on ne peut paniquer devant les menaces des radicaux. Le fondamentalisme islamique est une réponse totalitaire à la modernité et aux valeurs humanistes. Curieusement, les gens qui s´indignent des prétendues offenses au prophète ne se formalisent nullement par contre des carnages du groupe terroriste Boko Haram au Nigéria qui pousse l´ignominie jusqu´à se servir d´enfants de dix ans pour perpétrer des attentats-suicides. Elles ne s´insurgent pas contre la flagellation appliquée au blogger Raif Badaoui en Arabie Saoudite (tiens, un pays allié de la France…), les crimes de l´État Islamique-qui décapite des chrétiens et brûle des musulmans comme le pilote jordanien- ou la fatwa lancée contre l´écrivain et journaliste algérien Kamel Daoud.
Pour en revenir à Soumission, prenons ce roman pour ce qu´il est : une fiction, intelligente et satirique. Sur Houellebecq, peut-être un jour souscrira-t-on aux paroles de son ami, le très regretté Bernard Maris, qui dans son intéressant essai Houellebecq économiste, paru en septembre 2014 chez Flammarion, a écrit : «Houellebecq est le grand romancier de la main de fer du marché et du capitalisme à l´agonie, comme Balzac fut celui de la bourgeoisie conquérante et du capitalisme triomphant».

(1)Page 278.

(2)Page 276.

Michel Houellebecq, Soumission, éditions Flammarion, Paris, janvier 2015.

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