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Féru de littérature française et étrangère, ma plume sévit dans diverses colonnes de journaux, de sites internet pour partager ce goût qui m´anime. Que détracteurs ou admirateurs n´hésitent pas à réagir à mes chroniques.

lundi 29 août 2016

Chronique de septembre 2016.



  

  Curzio Malaparte, portrait d´un soi-disant caméléon.

  On ne sait pas vraiment si l´histoire s´est produite telle qu´elle a fini par être répandue et rapportée par Michel Mourre dans le Dictionnaire des auteurs (Laffont), mais il paraît que c´est en réponse à Mussolini, intrigué d´un pseudonyme plutôt fâcheux, que notre héros a déclaré : « Napoléon s´appelait Bonaparte et il a mal fini ; je m´appelle Malaparte et je finirai bien !» Cinquante- neuf ans après sa mort, on ignore si la postérité retiendra ou pas le nom de Curzio Malaparte, mais cette phrase traduit on ne peut mieux la personnalité extravagante, égocentrique, inconstante, mais néanmoins géniale, d´un des auteurs italiens les plus singuliers du vingtième siècle.
  Kurt Erich Suckert( son vrai nom) est né le 9 juin 1898 à Prato, en Toscane, fils d´une mère lombarde et d´un père allemand, excellent technicien des ateliers de filature. Sa nature sémillante et anticonformiste s´affirme dès sa prime jeunesse. En effet, lors de la première guerre mondiale, s´échappant du collège Cicognini, il se fait enrôler, à l´âge de seize ans, dans l´armée française. Dans le livre Du côté de chez Malaparte de Raymond Guérin(1), écrit à la suite d´un séjour dans la maison de l´auteur italien à Capri, Malaparte raconte le début de cette odyssée : «J´avais à peine seize ans, mais j´étais grand et musclé. J´étais même très bon alpiniste. C´est ainsi que j´ai franchi les Alpes, échappant aux douaniers. À Marseille, j´ai réussi à me procurer de faux papiers certifiant que j´avais deux ans de plus et j´ai pu m´engager».
  Après la guerre, fasciné un temps par la vie diplomatique, il fait partie de la Légation d´Italie en Pologne, mais, rentrant chez soi en 1921 et ébloui par le discours du Duce, il s´inscrit au parti fasciste. S´accommodant mal pourtant, en esprit rebelle, de la discipline mussolinienne, il pond, en 1929, suite aux accords de Latran, un pamphlet où sous les traits de Monsieur Caméléon on n´a aucune peine à reconnaître Benito Mussolini. Cette hardiesse n´était pas, cela va sans dire, de nature à plaire au Duce, tout comme deux ans plus tard la parution en France- où l´auteur a séjourné quelque temps- de son livre Tecnica del colpo di stato(Technique du coup d´État), un essai brillant où, dans la lignée du Prince de Machiavel, il analyse les diverses méthodes d´insurrection moderne, prenant exemple sur le 18 Brumaire de Bonaparte, le coup d´état bolchevique en 1917, la montée de Hitler ou la marche sur Rome de Mussolini. Celui-ci, las de cet ancien partisan devenu encombrant, l´aurait fait écrouer pour quelques mois et l´aurait ensuite assigné à résidence dans l´île de Lipari, quoique certaines sources de nos jours avancent une autre raison pour cette déportation : une polémique avec Italo Balbo, un hiérarque du régime. Quoi qu´il en soit, si Malaparte a dépeint un jour Mussolini sous les traits du Caméléon, cette épithète on pourrait l´attribuer tout aussi bien à Malaparte lui-même. Du fascisme à la soi-disant démocratie libérale, des penchants anticléricaux  à la conversion au catholicisme, Malaparte a côtoyé toutes les confréries et toutes les coteries. À la fin de sa vie, il était fasciné par la Chine (2) et par le maoïsme. C´est d´ailleurs en Chine qu´il s´est rendu peu avant sa mort en 1957 pour  rencontrer Mao Zedong dont il a loué «le profond sens de l´équilibre et de l´humanité» (3). Rapatrié d´urgence, il est mort quatre mois plus tard d´un cancer qui le rongeait. Pendant son agonie, nombre d´hommes politiques sont accourus à son chevet, du démocrate-chrétien Fanfani au communiste Togliatti. Ceci prouve que, malgré sa nature caméléonesque, sa réputation était au zénith, peut-être parce que, comme d´aucuns l´ont prétendu, il traduisait on ne peut mieux la quintessence italienne, en dépit des livres où paradoxalement –ou peut-être pas-il n´a cessé de se moquer de ses compatriotes…
Dans l´excellente biographie Malaparte, vie et légendes (Prix Goncourt de la catégorie en 2011), directement écrite en français que Maurizio Serra lui a consacrée(4), on peut plonger dans les méandres d´une des personnalités les plus fascinantes de la littérature européenne de la première moitié du vingtième siècle. Selon Maurizio Serra, «fascisant, mais aussi marxisant, anarchisant, toujours rebelle, Malaparte l´est et le restera également par méfiance, voire répugnance envers la démocratie parlementaire, système failli qu´il a vu submerger de poncifs les jeunes qui revenaient du front, sans pouvoir trouver de réponse à leur fin de certitudes. Même après la chute de Mussolini, il fera litière de la nouvelle démocratie, menacée par «les fascistes de l´antifascisme, les fascistes sans chemise noire», qu´il accable dans son Giornale segreto. S´il pleure abondamment dans ses livres, et si son cœur mis à nu doit nous donner l´illusion qu´il est toujours en train de se battre pour quelqu´un ou quelque chose, Malaparte ne verse pas une larme sur le sort du continent et sur la fin de son rayonnement dans le monde. Il voue aux gémonies la «vieille Europe trépassée»(5), tout comme le soldat professionnel sait qu´il doit accepter qu´on lui coupe un membre gangrené. Sur le tard, il se réclamera d´un «nationalisme européen(6)», où l´on entrevoit une vague idée d´Europe des patries, mais cet engagement ne doit pas être surévalué. Peu d´intellectuels de son époque ont prédit avec autant de précision et dénoncé avec plus de vigueur le déclin de cet Occident bon pour le rebut. Comment d´ailleurs l´imaginer autrement ? Que serait Malaparte dans un monde globalisé, repu et béat, flasque et médiocre, comme celui qui vient de culbuter dans la crise financière, et qui ânonne du politiquement correct pour revêtir son manque de valeurs ? C´est déjà admettre combien il nous manque»(7).
 Trotski dans son Histoire de la révolution russe a qualifié Malaparte de pseudo-théoricien du fascisme alors que Mussolini à la même époque confiait à ses proches qu´il était le candidat idéal à la direction de la Pravda. La soi-disant ambiguïté idéologique de Malaparte l´a parfois cantonné dans une sorte de «fascismo rosso». Néanmoins, son élégance est telle que jamais ne perce dans ses écrits-ou très rarement- comme nous le rappelle encore Maurizio Serra le côté chauffeur de taxi grincheux d´un Céline, d´un Jouhandeau, ou d´un Paul Morand (a fortiori dans son Journal Inutile) traduit dans la haine du métèque et la peur de la contamination sociale. 
En s´adonnant à un exercice fictionnel et en projetant Malaparte dans notre époque, on pourrait imaginer ses tours d´équilibrisme dans l´Italie berlusconienne. Je parie qu´il aurait composé un temps avec Silvio Berlusconi avant de brosser de lui un portrait au vitriol qui aurait inévitablement ulcéré le cavaliere.    
Malaparte n´a jamais laissé personne indifférent. Il ne le voulait point, d´ailleurs. Quand un jour, on lui a demandé quel était le jugement négatif  qui l´avait le plus frappé, il ne s´est nullement privé de répondre : «Le silence».
Si le personnage était ambigu et suscitait de l´animadversion, il affichait quand il le fallait son côté humaniste. Le grand poète Umberto Saba qui n´était pas dupe du côté égoïste de Malaparte lui était néanmoins reconnaissant pour le soutien qu´il lui avait prodigué au moment des lois anti-juives : «Et donc, tout en n´étant pas croyant, j´ai prié un père jésuite de dire une messe pour la paix de l´âme de Curzio qui, tout en étant mon antithèse, m´aida et chercha de m´aider dans la mauvaise fortune»(8).                  
  La personnalité exubérante de Malaparte qui en plus séduisait les femmes a fait tellement jaser qu´elle a souvent offusqué son œuvre de romancier, de nouvelliste, de dramaturge et de journaliste (dans ce dernier registre, il est parmi les plus grands que le vingtième siècle ait connus).
  Ses deux chefs-d´œuvre Kaputt et La pelle (La peau) deux des meilleurs romans que l´on ait écrits sur les combats de la seconde guerre mondiale- «je suis né pour écrire de belles pages et non pour mourir en guerre»(9)-, regorgent- surtout le premier Kaputt, inspiré dans son expérience de correspondant de guerre sur les fronts de l´Est- de corps mutilés, de sang, d´atrocités de tout genre. Kaputt, en particulier, c´est le livre de la décadence et du naufrage de la civilisation européenne, une féerie baroque comme seul un grand écrivain pourrait l´ enfanter. S´il n´agissait pas d´une œuvre de fiction, on pourrait aisément le prendre pour un précis de cruauté, tant les images et les paysages qui défilent devant nos yeux, à la lecture du livre, ressemblent à ce qu´on pourrait nommer l´ex-libris de l´horreur. Puisque ce livre est le fruit de l´expérience de l´auteur, pourrait-on le tenir aussi pour un livre de mémoires ? Peut-être, mais seulement dans la mesure où, pour Malaparte, la vérité et le mensonge sont souvent les deux faces de la même monnaie. Dans son autre grand roman, La pelle (La peau), l´action se situe à Naples occupée par l´armée de libération alliée, avec tout le cortège d´incertitudes et d´humiliations.
  Mais, si ces deux œuvres majeures étalent au grand jour l´horreur de la guerre, il est d´autres livres où l´on découvre un Malaparte plus raffiné, plus onirique, plus poétique comme les nouvelles ou les récits de Sangue (Sang) Sodoma e Gomorra,( Sodome et Gomorrhe), Una donna come me(Une femme comme moi). À retenir aussi La Volga nasce in Europa (La Volga naît en Europe), Fughe in prisione(Fuites en prison), et Il sole è cieco(Le soleil est aveugle).
  Malaparte-chez qui le sens de la composition primait presque toujours sur celui de l´observation- fut également l´auteur de deux pièces de théâtre écrites directement en français : Du côté de chez Proust et Das Kapital. Ces pièces coïncident avec une période- suite à la fin de la seconde guerre mondiale- où il est revenu à Paris après, de son propre aveu,- encore une de ses innombrables boutades-«quatorze ans d´exil en Italie». Malheureusement pour lui, ces pièces n´ont pas connu un grand succès.
En Italie, aujourd´hui, l´œuvre de Curzio Malaparte n´a pas les honneurs auxquels elle aurait droit étant donné son importance dans la littérature italienne du siècle passé. Déjà, dans les années soixante, donc peu après sa mort (survenue, je vous le rappelle, en 1957) Malaparte n´était guère nommé dans les conversations entre intellectuels, comme l´écrivain français Dominique Fernandez le constatait lors de ses premiers séjours dans la péninsule. L´écrivain français a vu juste sur les raisons de ce rejet à l´égard de Malaparte. Récemment, il a évoqué cette période-là dans son livre Le piéton de Rome, objet de ma chronique de mars 2016. Je rappelle les paroles de Dominique Fernandez que j´ai alors reproduites : «Sans doute ne supportaient-ils pas son goût de l´ostentation, sa faconde publicitaire, sa versatilité politique. Je crois qu´ils rejetaient surtout ce qu´il leur avait raconté : la misère de Naples, les horreurs nazies perpétrées en Russie par les Allemands dont les Italiens étaient les alliés. Toujours ce refus de se sentir coupables, et ce ressentiment envers celui qui les y obligeait.».
  Malaparte, écrivain exceptionnel- quoi qu´on en dise- et journaliste hors pair, a donc été, malgré les boutades, les supercheries et les retournements de veste, un des personnages les plus fascinants de la vie culturelle italienne du vingtième siècle. Et  ce parce que, en vérité, on doit toujours se méfier de ceux qui ont une réputation d´êtres immaculés. Ce qui n´était pas le cas, bien entendu, du grand Curzio Malaparte…






(1)Raymond Guérin, Du côté de chez Malaparte. Editions Finitude, Bordeaux, 2009.


(2)Malaparte a légué à la Chine sa maison de l´île de Capri, pour l´établissement d´une fondation pour les artistes chinois. Ses héritiers sont parvenus à annuler son testament et la villa s´est peu à peu dégradée.


(3)Propos rapportés par Dominique Fernandez dans Dictionnaire amoureux de l´Italie, éditions Robert Laffont, Paris, 2008.


(4)Maurizio Serra, Malaparte, vie et légendes, éditions Grasset, Paris, 2011(édition de poche parue en 2012 dans la collection Tempus des éditions Perrin)
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(5) in Il y a quelque chose de pourri, traduction d´Elsa Bonan, éditions Denoël, Paris, 1960(original italien : Mamma Marcia, éditions Vallecchi, 1959).


(6) in «Malaparte répond», Notre Europe, avril 1949, repris dans la biographie déjà citée.


(7)Tout l´extrait est reproduit de l´introduction de l´œuvre Malaparte, vie et légendes de Maurizio Serra.


(8) Umberto Saba, Ritratto di Malaparte, in Epigrafe. Ultime Prose, Milan, Il Saggiatore, 1959. L´extrait est traduit par Maurizio Serra et repris dans sa biographie de Malaparte déjà citée.


(9)Cité dans l´album iconographique Malaparte-una proposta, publié par les «Amici di Capri», Rome, De Luca, 1982, repris par Maurizio Serra dans la biographie déjà citée.


P.S- Denoël, Gallimard, Grasset et Les Éditions du Rocher sont les principaux éditeurs français de Curzio Malaparte.

                               
 


1 commentaire:

bluegirl a dit…

Mais um belíssimo texto, como, de resto, é habitual neste blog!