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Féru de littérature française et étrangère, ma plume sévit dans diverses colonnes de journaux, de sites internet pour partager ce goût qui m´anime. Que détracteurs ou admirateurs n´hésitent pas à réagir à mes chroniques.

jeudi 29 août 2024

Chronique de septembre 2024.

 


L´Amérique de Sinclair Lewis.

                           

A deux mois des élections présidentielles américaines, peut-être aura-t-on envie de lire, comme ce fut déjà le cas en 2016, le roman It can´t happen here (en français, Impossible ici). Ce roman, publié aux États-Unis en 1935 et paru en français en 1937 chez Gallimard, était inspiré en quelque sorte par la poussée de l´extrême-droite en Europe et par la croisade menée contre le président Roosevelt par le gouverneur de l´État de la Louisiane Huey Long, soutenue par le prêtre ultra- conservateur d´origine canadienne Charles Coughlin. L´auteur de ce roman –écrit en l´espace de deux mois à peine - a donc pondu une intrigue où un homme politique, Buzz Windrip, gagne la présidentielle américaine en 1936 avec un programme populiste promettant du bonheur pour tout le monde. Néanmoins, après l´investiture, il élimine petit à petit les garanties civiles, annonce que l´Union Soviétique et le Mexique constituent de sérieuses menaces, décide de blinder la frontière, proclame la loi martiale, fait assassiner les dissidents et promeut l´effritement du système. Le personnage principal du roman est Doremos Jessup, un journaliste libéral de l´État du Vermont (curieusement, l´État de l´actuel sénateur Bernie Sanders du Parti Démocrate) qui a du mal à accepter que le peuple soit subjugué par un clown néo-fasciste, mais se rend compte que beaucoup se complaisent dans ce délire. Doremos Jessup se radicalise, est arrêté, parvient à s´échapper et passe à la clandestinité. Ce roman est devenu un best-seller et son adaptation théâtrale fut jouée pendant cinq ans.

 Quelques décennies plus tard, l´écrivain Philip Roth dans son uchronie The Plot against America (La conspiration contre l´Amérique) imagine que l´aviateur conservateur et isolationniste Charles Lindbergh aurait battu Roosevelt aux élections. Tant Lindbergh que Buzz Windrip avaient avant la lettre une phraséologie proche de celle de Donald Trump.

L´auteur du roman It can´t happen here (Impossible ici) est aujourd´hui plutôt oublié, mais il fut autrefois un romancier et un dramaturge assez populaire et considéré un écrivain majeur dans les années vingt et trente du vingtième siècle: Sinclair Lewis, le premier écrivain américain à avoir obtenu, en 1930, le Prix Nobel de Littérature.

Sinclair Lewis est né le 7 février 1885 à Sauk Centre, un petit village du Minnesota, fondé en 1857 et qui a inspiré Main Street, le roman que le futur écrivain publiera au tout début des années vingt. Son père, Edwin J. Lewis, était un honnête et sévère médecin de campagne dont la discipline et la ponctualité étaient assez proverbiales. Il a pris une part active à la vie de la communauté en tant que membre des conseils scolaires et de la Bibliothèque. Sa mère, Emma Kermott, souffrait de tuberculose et est morte en 1891.

En raison de la mort prématurée de sa femme, Edwin J. Lewis a dû s´occuper seul de trois enfants (Sinclair et ses deux frères aînés Fred et Claude). Pressé par ses amis de leur trouver une mère, Edwin J. Lewis s´est remarié en 1892 à Isabel Werner, une femme que la chronique décrit comme réservée et maternelle.

Enfant solitaire, Sinclair rêvait d´aventures et de voyages pour échapper à la monotonie de la vie dans son petit village. Ses lectures n´ont fait qu´accentuer son goût de l´aventure. Charles Dickens, Walter Scott, George Grote et Henry Longfellow comptaient parmi ses écrivains préférés. Son goût de l´aventure et son désir de socialisation l´ont poussé à s´enrôler, à l´âge de 13 ans, comme tambour (musicien militaire) dans l´armée, une expérience qui n´a pas longtemps duré.   

Après des études secondaires à Oberlin College, un collège protestant dans l´Ohio, il s´est inscrit à l´Université  de Yale d´où il n´est sorti diplômé qu´en 1908 puisqu´il avait -quoique brièvement- interrompu ses études universitaires, d´abord pour intégrer Helicon Hall, la colonie coopérative fondé par l´écrivain socialiste Upton Sinclair dans le New Jersey, puis pour se rendre au Panama. Avant de devenir dans les années vingt un illustre écrivain, il a travaillé pour des maisons d´édition et a fréquenté plusieurs écrivains de gauche dont, on l´a vu, Upton Sinclair, Jack London et John Reed.

Ses premiers romans étaient plutôt médiocres. Il a vécu ses premières années d´écriture grâce à des nouvelles au ton optimiste publiées -parfois sous pseudonyme - dans des revues à grand tirage comme Collier´s et le Saturday Evening Post.

C´est enfin au début des années vingt que Sinclair Lewis a vraiment entamé une carrière d´écrivain prestigieux. Ses romans sont des chroniques naturalistes de la société américaine moderne, de ses petites villes, de sa classe moyenne aisée. Ils sont également un portrait au vitriol de la bigoterie et de l´hypocrisie de la société américaine. Dans ses romans, Sinclair Lewis s´attaque aussi à la vulgarité affairiste et consumériste ainsi qu´à la monotonie des villes américaines.

Le déclic s´est produit avec la parution de Main Street (Grand -Rue) en 1920. Ce roman est une critique acerbe de la vie de province du midwest américain, inspiré de la jeunesse de l´auteur à Sauk Center (déguisée sous le nom de « Gopher Prairie »). Il est devenu un véritable phénomène d'édition, ayant vendu plus de 100 000 exemplaires en à peine quatre mois. Le roman fut le plus grand livre à succès du premier quart de siècle aux États-Unis et a également connu un succès critique. Le comité d'attribution du Prix Pulitzer lui a néanmoins préféré The Age of Innocence (L'Âge de l'innocence) d'Edith Wharton que Lewis admirait et à qui il a dédicacé son roman suivant. Main Street tourne autour du personnage de Carol Milford, originaire de la (relativement) grande ville de Saint-Paul, Minnesota, qui s'installe à Gopher Prairie après son mariage avec le médecin local, le Dr. Kennicott. Romantique et idéaliste, Carol pense pouvoir embellir et moderniser la petite bourgade conservatrice, mais sera plutôt étouffée par son milieu.

Le succès retentissant de Main Street a fait de Sinclair Lewis le chef de file de l'école réaliste  américaine. Son roman suivant, Babbitt publié en 1922, est lui aussi devenu un classique. Il met en scène George F. Babbitt, agent immobilier prospère, pilier de la chambre de commerce de la ville de Zenith, obsédé par les valeurs matérielles, et pourtant frustré par son existence centrée sur l'argent et la consommation. L'action se situe dans l'État américain imaginaire du Winnemac. Le roman, satirique, présente le premier portrait de l'Amérique des années vingt, obsédée par la spéculation foncière et l'acquisition d'objets de consommation, devenus abordables, comme les automobiles ou les réfrigérateurs. Cette classe moyenne en voie d'embourgeoisement ignore complètement l'art et la littérature.

Le livre suivant, Arrowsmith, paru en 1925, est un roman mettant en scène un jeune médecin idéaliste confronté à une profession aussi avide d'argent et de prestige que le milieu des affaires de Babbitt. Arrowsmith s´est vu décerner le Prix Pulitzer, mas Lewis le refuse, affirmant qu'il devrait être accordé à un texte mettant en valeur les qualités positives de l'Amérique, et non à un roman critique comme le sien.

Dans les années vingt, Sinclair Lewis a encore publié d´autres romans qui ont assis sa réputation de grand écrivain dont Elmer Gantry (1927) et Sam Dodsworth(1929). Elmer Gantry est l´histoire d'un ancien joueur de football américain devenu prêcheur itinérant. Elmer Gantry, charlatan cynique, malhonnête et alcoolique, s'élève dans la société grâce à la religion. L écrivain s'inspire ici de la figure de Billy Sunday  ex-joueur vedette de baseball, devenu le prêcheur protestant le plus célèbre de son époque au tournant du XXe siècle. Sam Dodsworth est souvent considéré comme le dernier roman classique de Sinclair Lewis. Il raconte l'histoire d'un couple d'Américains dont le mariage s'effondre lors d'un voyage en Europe.

À cette époque, Sinclair Lewis était l´écrivain américain le plus connu au monde et quasiment toutes ses œuvres vont être adaptées au cinéma. En 1930, son œuvre fut couronnée du Prix Nobel de Littérature. Il fut le premier écrivain américain à être honoré de cette distinction. Dans son discours de remerciement intitulé La peur américaine de la Littérature, il a rappelé les appels au lynchage dont il avait été victime. Il a également dénoncé l'intolérance de son pays à l'égard des écrivains ne glorifiant pas la « simplicité bucolique et puritaine de l'Oncle Sam » et l'individu américain, « grand, beau, riche, honnête et bon golfeur ».

Toujours d´après Sinclair Lewis, le réalisme social littéraire décrivant ces changements est vertement critiqué, au nom d'un idéal de vie américain vertueux défendu par les institutions universitaires et les académies des arts. Pourtant, il a rappelé que la nouvelle génération d'écrivains américains (Faulkner, Wolfe, Willa Cather, Theodore  Dreiser et Hemingway, par exemple) s'était déjà émancipée de ce que Lewis nommait un provincialisme ennuyeux, pour décrire l'Amérique telle qu'elle était. Aussi espérait- il voir son pays abandonner sa peur puérile de la littérature réaliste et satirique, pour parvenir à se doter de ce qui lui manquait, en dépit de ses richesses et de sa puissance, à savoir une civilisation assez bonne pour satisfaire les désirs profonds de l'être humain».

Cependant, la consécration suprême coïncide en quelque sorte avec une nette baisse de qualité de ses œuvres. Seul It can´t happen here (Impossible Ici) publié, on l´a vu, en 1935 a atteint les sommets de ses livres précédents. Les livres parus dans les années trente et quarante - hormis It can´t happen here- se vendent très peu. Sa vie familiale était elle aussi plutôt instable. Il s´est marié et divorcé deux fois au cours de sa vie (sa première épouse fut Grace Livingstone Hegger, éditrice du magazine Vogue et la deuxième, la journaliste Dorothy Thomson) et il a eu deux enfants : de sa première femme est né Wells (prénom choisi en hommage à l´auteur de la Guerre des Mondes), qui s´est tué en France lors de la Seconde Guerre Mondiale, et de la deuxième, Michael. Au tout début les années quarante, il a vu une lueur d´espoir dans l´enseignement. Il a commencé à donner avec un énorme enthousiasme, d´après les chroniques, un cours d´écriture créative (creative writing, en anglais) à l´Université du Wisconsin-Madison, Soudain, après cinq leçons données à un groupe de vingt-quatre étudiants triés sur le volet, il a annoncé qu´il leur avait déjà enseigné tout ce qu´il savait et a abandonné Madison le lendemain. 

Les dernières années de sa vie, il les a vécues en voyageant de chambre d´hôtel en chambre d´hôtel et en sombrant dans ce que l´écrivain argentin Alan Pauls a dénommé comme le service militaire obligatoire de l´écrivain nord-américain, c´est-à-dire, l´alcoolisme.

Sinclair Lewis est mort le 10 janvier 1951, à l´âge de 65 ans, à Rome lors d´un de ses nombreux voyages. Il est enterré au cimetière Sauk Centre, le village où il est né.

William Shirer, un ami de Sinclair Lewis s´est prononcé un jour sur son importance dans l´histoire de la littérature américaine. Il a affirmé ce qui suit : «Ils sont assez nombreux les critiques littéraires qui ne tiennent pas Sinclair Lewis pour un grand romancier. Peut-être n´ont-ils pas tort, si on le compare à Hemingway, Dos Passos, Scott Fitzgerald  ou Faulkner. Lewis manquait de style. Pourtant, la répercussion de ses romans sur la vie américaine moderne fut supérieure à celle des quatre autres écrivains réunis».

Peut-être le succès récent du roman It can´t happen here (Impossible ici) sera-t-il le début de la redécouverte de l´œuvre importante de Sinclair Lewis.

 

 

     

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


vendredi 2 août 2024

James Baldwin aurait eu 100 ans aujourd´hui.

 


L´écrivain américain James Baldwin aurait eu 100 ans aujourd´hui.  Né le  dans le quartier de Harlem, à New York, et mort le  à Saint-Paul-de-Vence,  en France, il fut l´auteur de romans, de poésies, de nouvelles, de pièces de théâtre et d’essais. Son œuvre la plus connue est peut-être son premier roman, semi-autobiographique, intitulé La Conversion (Go Tell It on the Mountain), paru en 1953, et sa nouvelle Blues pour Sonny (Sonny's Blues) incluse dans le recueil de nouvelles Face à l´homme libre (Going to Meet the Man), paru en 1965.

Ses essais, rassemblés notamment dans Chronique d'un pays natal (Notes of a Native Son, 1955) et La Prochaine Fois, le feu (The Fire Next Time, 1963), explorent les non-dits et les tensions sous-jacentes autour des distinctions raciales, sexuelles et de classe sociale au sein des sociétés occidentales, en particulier dans l'Amérique du milieu du XXe siècle. Ses romans et pièces de théâtre transposent quant à eux vers la fiction des dilemmes personnels, questionnant les pressions sociales et psychologiques complexes qui entravent non seulement l'intégration des personnes noires, mais aussi des homosexuels. ll dépeint également les obstacles intériorisés qui empêchent de telles quêtes d'acceptation, par exemple dans son roman La Chambre de Giovanni (Giovanni's Room), écrit en 1956.

 

La mort d´Annie Le Brun.

 


Poète surréaliste, essayiste et critique littéraire, Annie Le Brun, née à Rennes le 15 août 1942, est morte le 29 juillet en Croatie. La nouvelle fut annoncée hier. Je me permets de reproduire les lignes qui lui ont été consacrées sur le site  des éditions Gallimard: «Les Éditions Gallimard ont appris avec émotion et tristesse la disparition d’Annie Le Brun le 29 juillet 2024.Figure marquante de la littérature et de la pensée philosophique, Annie Le Brun se consacra très tôt à la poésie et resta toujours fidèle à l'insurrection radicale du surréalisme. Critique littéraire, spécialiste de Sade à qui elle consacrera une grande exposition au Musée d’Orsay en 2014, passionnée par Victor Hugo, elle a écrit aussi de nombreux textes sur l’art et les artistes et fut commissaire de l’exposition « Toyen » au Musée d’art moderne de Paris en 2022. Elle formait un couple fusionnel avec son mari, le poète croate Radovan Ivšić (1921-2009), dont l’œuvre est publiée chez Gallimard.Les analyses au scalpel d’Annie Le Brun, esprit libre, ont marqué de nombreux sujets de société, du féminisme et de la culture.Parmi ses nombreux titres chez Gallimard, "Soudain un bloc d’abîme, Sade" (Folio Essais), "Si rien avait une forme, ce serait cela" (collection Blanche), "Un espace inobjectif" (collection Art et Artistes), et son célèbre recueil de poèmes "Ombre pour Ombre", repris dans Poésie Gallimard en 2024».