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Féru de littérature française et étrangère, ma plume sévit dans diverses colonnes de journaux, de sites internet pour partager ce goût qui m´anime. Que détracteurs ou admirateurs n´hésitent pas à réagir à mes chroniques.

samedi 27 juin 2009

Chronique de juillet 2009





Malcolm Lowry, un volcan en éruption.


Les écrivains sont souvent leur œuvre mais aussi leur légende. Les deux principales biographies du grand écrivain anglais Malcolm Lowry, celle écrite par Douglas Day, publiée en 1973, et une autre signée Gordon Bowker, parue en 1983(1), quoique très documentées et fertiles en anecdotes, laissent néanmoins une foule de questions sans réponse, ce qui, à mon avis, n´est pas de nature à déplaire à ceux qui nourrissent éventuellement une admiration sans bornes pour l´œuvre de ce géant des lettres anglaises. Le but d´une biographie littéraire est-il d´ailleurs celui de disséquer dans ses moindres détails la vie d´un écrivain ? Sont-elles-les biographies littéraires- sur la même longueur d´onde que ces biographies de princesses ou de stars du show –business dont sont inconsidérément friands les lecteurs traditionnels de la presse du caniveau ? Bien sûr que non. J´ai déjà manifesté ailleurs- si je ne m´abuse dans mes anciennes chroniques pour le site de la Nouvelle Librairie Française de Lisbonne- ma méfiance envers les biographies classiques leur préférant une sorte de biographie sentimentale qui privilégie une méditation sur l´œuvre de l´écrivain, un retour aux lieux hantés, les empreintes laissées dans les endroits visités ou les souvenirs.
Quoi qu´il en soit, la vie d´un écrivain, ses obsessions et ses souvenirs d´enfance ont quand même le plus souvent une importance fondamentale dans le développement de son œuvre et l´on y trouve d´ordinaire les clés pour décrypter ses livres.
Ce mois-ci on signale le centenaire de Clarence Malcolm Lowry, un écrivain aussi extravagant que génial, né à New Brighton le 28 juillet 1909. Si j´ai tellement évoqué dans ces premières lignes l´importance de sa vie dans l´œuvre d´un écrivain c´est parce que chez Malcolm Lowry l´œuvre est essentiellement autobiographique et fort marquée par des souvenirs qui l´ont irriguée. Dans un de ses contes de jeunesse, l´auteur raconte une histoire qui est largement inspirée par un épisode de son enfance et qui a trait à une de ses passions les plus pernicieuses : la consommation de boissons alcoolisées. Quand il était enfant, il faisait souvent en voiture le parcours de la maison jusqu´au ferry que son père prenait pour aller travailler de l´autre côté de la Mersey. Ils étaient d´ordinaire très joyeusement salués en chemin par un voisin- un avocat- auquel le père de Malcolm ne répondait jamais. Interrogé un jour par son fils sur son indifférence à l´égard dudit voisin, il a rétorqué que l´homme était un ivrogne incorrigible. La révolte de Malcolm Lowry contre le puritanisme paternel se traduit par cette expression exprimée par le narrateur : «Il ignorait que ce jour-là j´avais décidé de me convertir en ivrogne quand je serais plus grand».
Si l´on tient compte du fait que sa mère était une figure plutôt fragile et qu´il a vécu- tout comme ses frères- dans un internat dès l´âge de sept ans jusqu´à la fin de l´adolescence, on peut comprendre qu´au long de sa vie Malcolm Lowry ait toujours cherché chez d´autres la tendresse et l´affection qui lui auraient manqué dans son enfance, soit sous la forme d´un père de substitution –un rôle qui aurait été joué par l´écrivain américain Conrad Aiken- soit en dénichant chez ses deux femmes -Jan Gabrial et Margerie- des caractéristiques qui auraient pu combler le manque d´amour maternel qui l´avait tourmenté.
Conrad Aiken a été pour Malcolm Lowry une espèce de tuteur littéraire. Malcolm Lowry avait tellement aimé Blue Voyage qu´il a même proféré un jour sur le livre de son ami une de ces assertions fantasques que seul un homme d´esprit sait enfanter : «J´ai tant aimé Blue Voyage que je l´ai sûrement écrit moi-même dans une autre vie».
S´il vouait une admiration sans bornes à l´égard de Conrad Aiken- à qui la postérité a réservé une réputation bien plus modeste que celle dont bénéficie aujourd´hui son poulain Lowry- celui-ci n´était pas le seul écrivain dont les livres l´aient ébloui. Dans la galerie des inconditionnels de Lowry figurait aussi par exemple l´écrivain norvégien Nordahl Grieg auteur de Le navire poursuit sa route(2). Ces deux livres- celui de Grieg et celui de Aiken –ont indiscutablement inspiré le premier roman de Lowry –Ultramarine. La parution de ce premier roman en 1933 a été précédée d´une mésaventure qui aurait pu empêcher qu´il eût vu le jour. Il a en effet été volé de l´automobile de Ian Persons un des éditeurs de Chatto and Windus qui devait le publier. La négligence de Lowry fit qu´il n´eût gardé aucune copie du roman. Heureusement, son ami Martin Case qui avait aidé Lowry à taper le roman à la machine en a récupéré quelques brouillons qui ont permis sa réécriture. Le roman a fini par paraître chez un autre éditeur, Jonathan Cape.
Si Ultramarine- aussi bien que ses poèmes et tous les livres parus après sa mort(3)- est un titre important dans l´œuvre de Malcolm Lowry, son chef-d´œuvre et donc le livre qui l´a rendu célèbre n´est autre, on le sait, que Under the Volcano(4).
Ce n´est pas- loin s´en faut, d´ailleurs- un livre d´accès facile. Même ceux pour qui Under the Volcano est devenu une sorte de livre- culte reconnaissent qu´il leur a fallu une certaine dose de persévérance pour se laisser enivrer par le souffle poétique et le langage baroque et torrentiel d´un livre somptueux.
L´intrigue n´est pas particulièrement difficile à saisir. Geoffrey Firmin, un ex-consul et un ex-mari, homme ruiné et plongé dans l´alcool est en train de vivre le dernier jour de sa vie dans la ville de Cuaunahuac dont les caractéristiques la rapprochent à s´y méprendre de la ville réelle de Cuernavaca au Mexique. Le retour de son ex-femme -Yvonne- signale le début d´une succession d´événements qui aboutiront à la mort de Geoffrey Firmin, tué par un groupe de para -militaires fascistes et jeté dans un ravin avec le cadavre d´un chien. Quant à Yvonne, elle meurt aussi foudroyée par l´orage.
Le roman est plein de connotations symboliques à commencer par le fait que l´intrigue se déroule le 2 novembre, le jour des Morts. La culpabilité, le péché originel, les cercles de l´enfer et la roue de la vie sont des allusions que l´on voit souvent apparaître sous la plume de tous ceux qui se sont déjà penchés sur cette œuvre majeure publiée en 1947. Mais une des plus grandes réussites de ce roman consiste dans le caractère novateur de son langage, ses connexions symboliques, la constance du ton. On ne peut pas oublier que Lowry était aussi un poète et que la langue d´un poète est plutôt subjective. Ce n´est pas le seul exemple d´ailleurs où le style,j´oserais dire, subjectivement poétique d´un écrivain imprègne une de ses œuvres de fiction. En 1966, un grand poète cubain, José Lezama Lima –que j´ai évoqué ici en janvier 2008-écrivait lui aussi un grand roman -Paradiso- aux caractéristiques certes tout à fait différentes du roman de Malcolm Lowry mais dont le style éblouissait également et rendait l´accès du lecteur très difficile dans un premier temps. C´était aussi un langage baroque comme celui que l´on attribue d´ordinaire à Under the Volcano. Le Mexique de l´intrigue de Malcolm Lowry est d´ailleurs un des exemples les plus achevés de la culture baroque. Ce Mexique, catholique et païen à la fois, si bien décrit par Octavio Paz dans son magnifique essai El laberinto de la soledad,(5) enfin ce Mexique dont les écrits baroques remontent à Sor Juana Inés de la Cruz et à Don Carlos de Sigüenza y Góngora…
Dans l´introduction à l´édition anglaise de 2000 chez Penguin Books, Michael Schmidt (Directeur de la Writing School de la Manchester Metropolitan University) affirme que le style est aussi complexe que les caractéristiques du personnage principal, Geoffrey Firmin. C´est sans doute vrai d´autant plus que le consul est un personnage assez mystérieux qui, entre autres aspects plus ou moins bizarres, essaye d´écrire un livre sur l´ésotérisme faisant ainsi penser à la réalité comme une apparence, une vérité cachée qui ne serait accessible qu´aux initiés. Une des clés possibles pour la compréhension de l´œuvre serait aussi d´après certains critiques que les quatre principaux personnages soient des variations d´un seul personnage qui synthétiserait les obsessions de l´auteur. Quand une œuvre suscite un énorme intérêt, comme ce fut le cas pour Under the Volcano, les théories ne manquent pas…
Malcolm Lowry s´est éteint le 27 juin 1957, mais les causes de sa mort restent encore à ce jour obscures. L´acte de décès faisait état de mort accidentelle, mais certaines versions évoquent la possibilité qu´il eût été occis par sa femme Margerie qu´il aurait menacé au préalable d´assassiner. Malcolm Lowry était, ce jour-là, en état assez profond d´ébriété. Quoiqu´il en soit, Margerie n´étant plus, la vérité nous l´ignorerons à jamais…
Nous les lecteurs, ce que nous n´ignorons sans doute pas c´est que Under the Volcano est indiscutablement un des romans les plus importants du vingtième siècle.


(1)Malcolm Lowry- a biography, de Douglas Day chez Oxford University Press et Pursued by furies: a life of Malcolm Lowry, de Gordon Bowker chez Faber Finds.

(2) Traduction française chez Les Fondeurs de Briques.

(3)Selected Letters of Malcolm Lowry(1965);Selected Poems of Malcolm Lowry(1962);Hear Us O Lord from Heaven The Dwelling Place(1961); Lunar Caustic(1963); Dark as the Grave Wherein my Friend is Laid(1968);October Ferry to Gabriola(1970); Malcolm Lowry: Psalms and Songs(1975).

(4)John Huston en a fait une adaptation cinématographique en 1984.

(5) Traduction française : Le labyrinthe de la solitude, chez Gallimard.

P.S- En français la plupart des livres de Malcolm Lowry sont traduits notamment chez Gallimard, Grasset et Le Seuil.
Quant à Under the Volcano, il est disponible sous deux noms différents : Sous le Volcan (collection Cahiers Rouges, Grasset) et Au-dessous du Volcan (collection Folio, Gallimard).

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