C´est avec une énorme trsitesse que je viens d´apprendre la nouvelle de la mort d´Yves Bonnefoy ce vendredi 1er Juillet. En guise d´hommage à cet immense poète, critique et traducteur, je reproduis ici un article que j´ai écrit il y a bientôt dix ans et publié à l´époque sur le site de la Nouvelle Librairie Française de Lisbonne.
Le pouvoir visuel d´Yves Bonnefoy.
«Je
te voyais courir sur les terrasses / je te voyais lutter contre le
vent / le froid saignait sur tes lèvres. / Et je t´ai vue te rompre
et jouir d´être morte ô plus belle / Que la foudre, quand elle
tache les vitres blanches de / ton sang».
Ces
vers, vous les trouverez au début du livre Du mouvement et de
l´immobilité de Douve , celui qui a fait connaître il y a
plus de cinquante ans (en 1953) Yves Bonnefoy, qui est aujourd´hui,
fort probablement, le plus grand poète français vivant.
Né à
Tours en 1923, Yves Bonnefoy s´est intéressé à la littérature
dès son enfance, mais le véritable déclic s´est produit lors de
son baccalauréat de français en juillet 1940 grâce à la
découverte du surréalisme: «Mon professeur de philosophie, un très
jeune homme qui avait fréquenté à Paris quelques groupes de
l´avant-garde, à la veille des dispersions de la guerre, me prêta
un jour La Petite Anthologie du Surréalisme de Georges
Hugnet, et je découvris là, d´un seul coup, les poèmes de Breton,
de Péret, d´Éluard, les superbes masses verbales de Tzara aux
temps dadaïstes, et Mystères de la mélancolie d´une rue
de Chirico, un véritable coup de tonnerre et Boule suspendue
de Giacometti, les collages de Max Ernst, Tanguy, les premiers Miró:
tout un monde». * De ce temps date aussi une autre découverte,
celle du Cimetière marin de Paul Valéry qui l´a également
ébloui.
Sous
le prétexte de préparer une licence de mathématiques à la
Sorbonne , il part à Paris en 1943 et s´intègre, de proche en
proche, dans le milieu littéraire parisien, fréquentant la
librairie d´Adrienne Monnier, rencontrant le critique Maurice
Saillet et Christian Dotremont, fondateur du groupe surréaliste
Cobra dont faisait également partie André Breton. Cependant, la
voie suivie, à un moment donné, par le surréalisme a fini par
désenchanter Bonnefoy qui ne partageait guère l´intérêt de
Breton, par exemple, pour la magie et l´occultisme. En 1948, il
reprend les études universitaires et obtient une licence de
philosophie agrémentée d´un diplôme d´études supérieures sur
«Baudelaire et Kierkegaard». Enfin, en 1953, il fait son entrée en
poésie par la grande porte (quoiqu´il y eût déjà eu un prélude
en 1946 avec la publication d´une première version de l´Anti-Platon
et le Traité du pianiste , poème en prose qui avait séduit
Adrienne Monnier et Maurice Saillet) avec la parution de l´ouvrage
cité plus haut: Du mouvement et de l´immobilité de Douve
.
La
poésie d´ Yves Bonnefoy est marquée par la quête d´un vrai lieu,
de l´être humain engagé dans sa finitude. La poésie, de l´aveu
même de l´auteur, n´est pas identifiable à une vérité
formulable, elle change la vie autant qu´elle rénove les rapports
sociaux. Peu d´écrivains français auront, au cours du vingtième
siècle, autant que lui, poussé à un degré aussi élevé le culte
des images. Sa poésie, consciente de la finitude des choses et des
êtres, conduit à la recherche des manifestations simples de la vie:
le feu, la lumière, la pierre, l´amour, le ciel, les oiseaux («Que
l´oiseau se déchire en sables, disais-tu / Qu´il soit, haut dans
son ciel de l´aube, notre rive. / Mais lui, le naufragé de la voûte
chantante, / Pleurant déjà tombait dans l´argile des morts» in
Hier régnant désert, 1958). Les figures familiales ne sont
pas non plus absentes de sa poésie, surtout sa mère, puisque son
père (mort quand le poète était encore adolescent) n´est évoqué
que dans Planches courbes , livre publié en 2001. Mais on
ne pouvait dissocier la poésie de Bonnefoy de sa passion pour le
dessin et la peinture. Sa poésie a d´ailleurs un pouvoir visuel
assez fort, une caractéristique qui se prolonge dans ses textes sur
les couleurs et ses essais sur les oeuvres de grands peintres,
surtout ceux de la Renaissance (bien qu´il ait aussi écrit sur des
périodes précédentes et sur des artistes contemporains comme,
entre autres, Giacometti). Un rêve fait à Mantoue (1967) ,
Rome 1630: l´horizon du premier baroque (1970) ,
L´arrière-pays (1972) , Le nuage rouge (1977) ,
La vérité de parole ( 1988) ou Dessin, couleur et
lumière (1995) sont, là-dessus, quelques-unes de ses oeuvres
fondamentales (publiées, pour la plupart, chez Gallimard et Le
Mercure de France ).
Yves
Bonnefoy, comme il arrive souvent chez les grands poètes, est aussi
un remarquable traducteur et c´est à lui que l´on doit la plupart
des traductions en français des oeuvres d´un des plus grands génies
de la littérature universelle: William Shakespeare.
Si,
en s´adressant, en 1994, aux étudiants de l´Institut Universitaire
de la Formation des Maîtres à Lyon, Yves Bonnefoy faisait montre de
pessimisme concernant l´avenir («Si l´humanité doit périr, ce
sera peut-être plus tôt qu´on ne l´imaginait»), il n´en garde
pas moins espoir dans le rôle positif que la poésie peut encore
jouer pour renverser la vapeur, comme il l´a affirmé dans un
entretien accordé en 2001 au Monde de l´éducation: « La poésie
vécue comme poésie, c´est le désir et l´agent de l´instauration
démocratique, qui peut seule sauver le monde»…
*
Propos tenus par l´auteur, que nous avons trouvés dans le numéro
de juin 2003 du Magazine littéraire , dont le dossier était
consacré à Yves Bonnefoy.
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