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Féru de littérature française et étrangère, ma plume sévit dans diverses colonnes de journaux, de sites internet pour partager ce goût qui m´anime. Que détracteurs ou admirateurs n´hésitent pas à réagir à mes chroniques.

vendredi 15 janvier 2021

La mort de Vassilis Alexakis.

 

Ce n´est qu´aujourd´hui même que j´ai appris la mort lundi dernier, 11 janvier, à Athènes, de l´écrivain franco-grec Vassilis Alexakis. Il a vu le jour le 25 décembre 1943 dans la même ville et il était un écrivain franco-grec(il a écrit dans les deux langues, celle du pays où il est, la Grèce, et celle de son pays d´adoption, la France). Son oeuvre fut couronnée de plusieurs prix littéraires. 

Je lui ai consacré deux articles. Le premier, vous le trouverez dans les archives de 2007 de ce blog. C´était sur son roman Ap. J-C, couronné du prix de l´Académie Française. L´autre, sur le roman La clarinette, fut publié en 2015 dans Le Petit Journal Lisbonne. Un article que je reproduis ici: 

«Mon ami Jean –Marc Roberts.

  Selon les dictionnaires de la langue française, la clarinette est un instrument de musique à vent de la famille des bois caractérisée par son anche simple et sa perce quasi cylindrique. Elle aura été créée en 1690 par l´Allemand Johann Christoph Denner(1655-1707) à Nuremberg sur la base d´un instrument à anche simple plus ancien, le chalumeau. En pays littéraire, il est désormais question de clarinette puisqu´il s´agit du titre du dernier roman de l´écrivain grec Vassilis Alexakis. Non, ce n´est pas à proprement parler un roman sur la musique tout court, ou peut-être l´est-il d´une certaine sorte de musique, une musique qui se dégage des mots et qui tisse toute une symphonie exprimant des sentiments on ne peut plus nobles comme, par exemple, l´amitié. C´est que ce roman- dont le nom est inspiré par un oubli de l´auteur-est, outre une réflexion sur la situation délicate de son pays, la Grèce, un profond témoignage d´amitié à l´égard de son ami et éditeur  Jean-Marc Roberts, décédé en 2013 des suites d´une tumeur du cervelet.

Vassilis Alexakis est né à Athènes en 1943,  le  jour de Noël, et il a effectué son premier séjour en France au début des années soixante lorsqu´il a décroché une bourse pour étudier à l´École Supérieure de Journalisme de Lille. Rentré au pays pour accomplir son service militaire, il a décidé de se fixer en France en 1968 alors que son pays vivait depuis quelques mois sous la férule de la dictature des colonels. Sa carrière d´écrivain (il est également un brillant dessinateur) est ponctuée par plus d´une dizaine de romans, écrits le plus souvent en français-comme La clarinette-, mais aussi en grec (qu´il traduit lui-même en français, comme il traduit en grec ceux qu´il a écrits dans la langue de Molière). Parmi ses titres, on se doit de mettre en exergue La langue maternelle (Prix Médicis en 1995, ex-aequo avec Le testament français d´Andreï Makine), Ap. J-C (Prix de l´Académie Française en 2007), Les mots étrangers-sur l´apprentissage du sango, langue de la République Centrafricaine, roman pour lequel je garde une tendresse particulière-et, l´avant –dernier, L´enfant grec. Enfin, il a reçu en 2013 Le Grand Prix de la Langue Française pour l´ensemble de son œuvre.

Chez Vassilis Alexakis, il y a toujours ce mélange subtil entre l´humour et une douce  mélancolie. Dans La clarinette, le lecteur est toujours tenu en haleine par les sujets les plus divers comme les tournées de présentation de livres, les mots, le panthéon familial et les femmes (les siennes et celles de son ami, quasiment un frère, Jean-Marc Roberts). Pourtant, ces délicieux chemins que l´auteur d´ordinaire emprunte ne nous détournent ni de Jean –Marc Roberts, ni de la Grèce. La Grèce évoquée ici(le livre écrit et sorti avant la victoire du Syriza n´en tient pas compte, bien entendu) est celle où la pauvreté ne cesse de croître, une Grèce déboussolée, corsetée par l´austérité et humiliée par des hommes politiques sans crédibilité et un programme d´assistance internationale impitoyable. Mais c´est aussi la Grèce qui maltraite les immigrés, entassés dans des camps de rétention, venus de pays plus pauvres, d´Asie et d´Afrique, souvent des réfugiés qui fuient la guerre. La Grèce où des nantis ne payent toujours pas d´impôts, surtout les richissimes armateurs et la très puissante église orthodoxe. Une église orthodoxe  peu tolérante à l´égard des voix critiques-comme celle de Vassilis Alexakis-et suspectée de frayer avec l´Aube Dorée le parti néonazi grec qui siège au parlement du pays. Néanmoins, il existe une autre Grèce plus humaine, où se tissent des liens de solidarité, où les gens s´entraident dans le besoin, où une vieille dame nonagénaire, Lilie, issue d´une vieille famille aisée, née au sein de la communauté grecque d´Istanbul et sœur d´un écrivain réputé, tricote pour des enfants déshérités. Et bien sûr, il y a l´amitié et le souvenir de Jean-Marc Roberts. Le livre est  en quelque sorte un immense dialogue où le narrateur s´adresse à son grand ami, en évoquant les moments de joie qu´ils ont pu vivre ensemble. Sur les funérailles de Jean –Marc Roberts, Vassilis Alexakis nous laisse par exemple des paroles émouvantes que je n´hésite pas à vous reproduire ici: «Puis Dina a chanté une chanson de Michel Berger, ton nouveau voisin. Un musicien assis à l´écart l´accompagnait à la guitare. Tu aurais sûrement approuvé son initiative, toi qui aimais tant chanter. Mais je suis incapable de te dire quelle chanson elle avait choisie : je n´écoutais pas les paroles, pas plus que je n´avais pu suivre attentivement le discours de Gabriel. En fait, je n´écoutais qu´Alphonse qui pleurait. Le plus jeune de tes enfants, celui qui a sans doute le plus besoin d´être aimé, n´avait pas pu se contenir plus longtemps. Son visage était inondé de larmes, il pleurait en sanglotant comme un enfant justement. « Il pleure pour nous tous», ai-je pensé. Tu trouvais tes livres si légers que tu prévoyais qu´un jour tu t´envolerais avec eux. À la fin de la chanson, j´ai vu une nuée de livres surgir du feuillage des arbres et voltiger au-dessus de la foule, très haut dans le ciel».

En refermant ce beau roman, on a l´impression d´entendre la voix de Vassilis Alexakis disant: «Ma patrie est l´amitié».

Vassilis Alexakis, La clarinette, éditions du Seuil, Paris, 2015».

 

 


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