Ce n´est qu´aujourd´hui même que j´ai appris la mort lundi dernier, 11 janvier, à Athènes, de l´écrivain franco-grec Vassilis Alexakis. Il a vu le jour le 25 décembre 1943 dans la même ville et il était un écrivain franco-grec(il a écrit dans les deux langues, celle du pays où il est, la Grèce, et celle de son pays d´adoption, la France). Son oeuvre fut couronnée de plusieurs prix littéraires.
Je lui ai consacré deux articles. Le premier, vous le trouverez dans les archives de 2007 de ce blog. C´était sur son roman Ap. J-C, couronné du prix de l´Académie Française. L´autre, sur le roman La clarinette, fut publié en 2015 dans Le Petit Journal Lisbonne. Un article que je reproduis ici:
«Mon ami Jean –Marc Roberts.
Selon les dictionnaires de la
langue française, la clarinette est un instrument de musique à vent de la
famille des bois caractérisée par son anche simple et sa perce quasi
cylindrique. Elle aura été créée en 1690 par l´Allemand Johann Christoph
Denner(1655-1707) à Nuremberg sur la base d´un instrument à anche simple plus
ancien, le chalumeau. En pays littéraire, il est désormais question de
clarinette puisqu´il s´agit du titre du dernier roman de l´écrivain grec
Vassilis Alexakis. Non, ce n´est pas à proprement parler un roman sur la
musique tout court, ou peut-être l´est-il d´une certaine sorte de musique, une
musique qui se dégage des mots et qui tisse toute une symphonie exprimant des
sentiments on ne peut plus nobles comme, par exemple, l´amitié. C´est que ce
roman- dont le nom est inspiré par un oubli de l´auteur-est, outre une
réflexion sur la situation délicate de son pays, la Grèce, un profond
témoignage d´amitié à l´égard de son ami et éditeur Jean-Marc Roberts, décédé en 2013 des suites
d´une tumeur du cervelet.
Vassilis Alexakis est né à Athènes en 1943,
le jour de Noël, et il a effectué
son premier séjour en France au début des années soixante lorsqu´il a décroché
une bourse pour étudier à l´École Supérieure de Journalisme de Lille. Rentré au
pays pour accomplir son service militaire, il a décidé de se fixer en France en
1968 alors que son pays vivait depuis quelques mois sous la férule de la
dictature des colonels. Sa carrière d´écrivain (il est également un brillant
dessinateur) est ponctuée par plus d´une dizaine de romans, écrits le plus
souvent en français-comme La clarinette-,
mais aussi en grec (qu´il traduit lui-même en français, comme il traduit en
grec ceux qu´il a écrits dans la langue de Molière). Parmi ses titres, on se
doit de mettre en exergue La langue
maternelle (Prix Médicis en 1995, ex-aequo avec Le testament français d´Andreï Makine), Ap. J-C (Prix de l´Académie Française en 2007), Les mots étrangers-sur l´apprentissage
du sango, langue de la République Centrafricaine, roman pour lequel je garde
une tendresse particulière-et, l´avant –dernier, L´enfant grec. Enfin, il a reçu en 2013 Le Grand Prix de la Langue
Française pour l´ensemble de son œuvre.
Chez Vassilis Alexakis, il y a toujours ce mélange subtil entre l´humour et
une douce mélancolie. Dans La clarinette, le lecteur est toujours
tenu en haleine par les sujets les plus divers comme les tournées de
présentation de livres, les mots, le panthéon familial et les femmes (les
siennes et celles de son ami, quasiment un frère, Jean-Marc Roberts). Pourtant,
ces délicieux chemins que l´auteur d´ordinaire emprunte ne nous détournent ni
de Jean –Marc Roberts, ni de la Grèce. La Grèce évoquée ici(le livre écrit et
sorti avant la victoire du Syriza n´en tient pas compte, bien entendu) est
celle où la pauvreté ne cesse de croître, une Grèce déboussolée, corsetée par
l´austérité et humiliée par des hommes politiques sans crédibilité et un
programme d´assistance internationale impitoyable. Mais c´est aussi la Grèce
qui maltraite les immigrés, entassés dans des camps de rétention, venus de pays
plus pauvres, d´Asie et d´Afrique, souvent des réfugiés qui fuient la guerre.
La Grèce où des nantis ne payent toujours pas d´impôts, surtout les richissimes
armateurs et la très puissante église orthodoxe. Une église orthodoxe peu tolérante à l´égard des voix
critiques-comme celle de Vassilis Alexakis-et suspectée de frayer avec l´Aube
Dorée le parti néonazi grec qui siège au parlement du pays. Néanmoins, il
existe une autre Grèce plus humaine, où se tissent des liens de solidarité, où
les gens s´entraident dans le besoin, où une vieille dame nonagénaire, Lilie,
issue d´une vieille famille aisée, née au sein de la communauté grecque
d´Istanbul et sœur d´un écrivain réputé, tricote pour des enfants déshérités.
Et bien sûr, il y a l´amitié et le souvenir de Jean-Marc Roberts. Le livre
est en quelque sorte un immense dialogue
où le narrateur s´adresse à son grand ami, en évoquant les moments de joie
qu´ils ont pu vivre ensemble. Sur les funérailles de Jean –Marc Roberts,
Vassilis Alexakis nous laisse par exemple des paroles émouvantes que je
n´hésite pas à vous reproduire ici: «Puis Dina a chanté une chanson de Michel
Berger, ton nouveau voisin. Un musicien assis à l´écart l´accompagnait à la
guitare. Tu aurais sûrement approuvé son initiative, toi qui aimais tant
chanter. Mais je suis incapable de te dire quelle chanson elle avait
choisie : je n´écoutais pas les paroles, pas plus que je n´avais pu suivre
attentivement le discours de Gabriel. En fait, je n´écoutais qu´Alphonse qui
pleurait. Le plus jeune de tes enfants, celui qui a sans doute le plus besoin
d´être aimé, n´avait pas pu se contenir plus longtemps. Son visage était inondé
de larmes, il pleurait en sanglotant comme un enfant justement. « Il pleure
pour nous tous», ai-je pensé. Tu trouvais tes livres si légers que tu prévoyais
qu´un jour tu t´envolerais avec eux. À la fin de la chanson, j´ai vu une nuée
de livres surgir du feuillage des arbres et voltiger au-dessus de la foule,
très haut dans le ciel».
En refermant ce beau roman, on a l´impression d´entendre la voix de
Vassilis Alexakis disant: «Ma patrie est l´amitié».
Vassilis Alexakis, La clarinette, éditions du Seuil, Paris, 2015».
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